Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
5 Juillet 2014
Évidement, moi qui suis plutôt de dernière minute, cette fois-ci j’avais réservé ma place depuis des mois au meilleur rang, face à la scène, dans cette Cour d’Honneur mythique. J’adore me rendre au festival d’Avignon et participer à cette effervescence culturelle, où l’inattendu dans les rencontres, cette ébullition artistique communicative et l’anarchie chaotique mais bon enfant donnent à la ville les couleurs d’une joie virale quasi extatique qui se répand partout dans les rues. Je garde ainsi comme un moment hors du temps, le souvenir extraordinaire d’une Isabelle Huppert diaphane et possédée incarnant une Médée bouleversante. Je me souviens encore avec beaucoup d’émotions de la mise en scène remarquable de Thomas Ostermeier pour un Woyzeck dément et meurtrier. Mais aussi d’autres spectacles dont le titre se brouille dans ma tête mais dont je conserve dans ma mémoire comme l’ombre d’un parfum dont on ne peut oublier les fragrances. J’aime ce festival et dès que j’en ai la possibilité, je m’y précipite avec la gourmandise de celle qui aurait été privée de son dessert favori pendant trop longtemps.
Seulement voilà, cette année, rien n’allait. Je venais à peine de mettre les pieds dans la ville qu’au sortir de la gare, j’avais été apostrophée par un groupe d’intermittents surchauffés qui, sans laisser la moindre possibilité à la cohorte des passagers du TGV de se glisser vers l’extérieur, nous assénaient de revendications hurlantes et de tracs enflammés. Loin de moi l’idée de ne pas comprendre leurs revendications, j’ai été moi-même intermittente pendant de longues années, mais là, vraiment, mon autonomie de bienveillance était au niveau « batterie faible », voir très faible quand, après huit heures de trajet, ayant à traverser la France dans une large diagonale, il m’avait fallu céder ma place à une mamie acariâtre et déchainée qui avait agité sous mon nez avec la constance du juste, une mauvaise réservation dont elle rendait coupable la SCNF de l’air du « à mon âge, cherche toujours à me déloger ». Sous les regards ombrageux et pincés des autres voyageurs, j’avais du effectuer un repli stratégique pour ne pas risquer d’être rendu responsable du malaise de la septuagénaire dont le visage commençait à virer au pourpre et, dans un train bondé, j’avais du patienter dans la voiture bar, debout et bousculée par deux colonies de vacances qui avaient, semble-t-il, entamer leurs activités ici-même.
Dans cette cohue conspuante, une jeune femme attira mon regard qui semblait la meneuse, tout au moins celle qui faisait le plus de bruit. Son tee-shirt était recouvert de stickers rouge au nom d’un syndicat très actif dans la profession. Dans une stratégie qui consiste à choisir, en cas de combat en nombre, le leader pour, en cas de victoire, voir se volatiliser le reste des combattants, je fondis sur elle et la prenais aussitôt à partie. Au passage, je chopais par le col de sa petite laine la mamie râleuse qui tentait de se faufiler en se servant de sa carte Emeraude comme d’un sésame, pour la plaquer devant moi comme un bouclier.
-« Excusez-moi, mais il y a des personnes âgées qui voudraient bien sortir pour prendre un peu de repos ! »
Un coup de coude léger mais autoritaire stoppa net la dite mamie dans ces velléités de se dégager de mon emprise. Avec prudence, elle s’immobilisa en serrant contre elle un énorme cabas qui semblait vide. J’en rajoutais une couche.
-« Exprimez-vous si vous voulez, mais laissez sortir les gens de la gare, parce qu’il va y avoir des blessés là ! »
Et pour appuyer mon argumentaire, je secouais encore un peu plus de gauche à droite mamie non sans un certain plaisir sadique, je dois bien le reconnaître. La grande brune me balança un regard en forme de missile air/sol et pris une large respiration ce qui eut pour effet immédiat de faire s'écarter ses comparses, sans doute connaisseurs de ces signes avants coureurs, ce qui ne paraissait pas une bonne nouvelle pour moi. La foule des passagers profita alors de ce mouvement d’ouverture pour se précipiter dans la brèche me faisant perdre par la même occasion le seul poids que je pouvais mettre dans la bataille, mamie rochon, qui surfa sur la vague de départ pour se dégager non sans m’avoir au préalable enfoncé, avec une force que je n'aurai jamais pu prédire, les coins pointus de son sac dans les côtes. Emportée par la foule, sans plus de parade, je me retrouvais projetée dans les bras de la revendicatrice cégétiste aux yeux noirs. Surprise et déséquilibrée, elle dut se rattraper à moi mais prise dans une sorte de tourbillon que la foule imprimait, nous roulâmes sur le côté pour nous retrouver toutes les deux enchevêtrées au pied d’un massif de fleurs.
La scène dura quelques secondes, le temps pour nous de nous relever et pour moi d’être agonie d’insultes les plus diverses par ma pasionaria qui refusait de lâcher la manche de mon chemisier au risque de le déchirer.
- « Vous êtes une malade mentale !... Vendue au patronat !... Casseuse de grève ! » Puis, prenant un temps de réflexion, son regard me dardant de plus belle, elle lâcha enfin l’insulte suprême « Bourgeoise ! ».
Pour moi qui venais d’un milieu familial modeste, qui avait toujours prôné des idées humanistes, et qui accusait dix degrés de différence entre une climatisation mise à fond dans le train, et une chaleur écrasante et moite, sans fut trop.
-« Foutez-moi la paix et d’abord lâchez-moi où j’appelle les flics ! Vous êtes une folle furieuse ! »
La syndicaliste me lâcha, ou plutôt, me repoussa avec violence manquant à nouveau me faire tomber. Je rattrapais ma dignité comme je pouvais et lui lançais à mon tour un regard furibond. Nous nous jaugeâmes ainsi quelques secondes. Elle reprit la parole la première, certainement plus à son aise que moi dans l’expression spontanée.
- « J’espère que vous avez un billet pour la première de ce soir ! »
J’avais effectivement réservé pour le Prince de Hombourg où joue Xavier Gallais, un de mes acteurs fétiches. Je me redressais pour toiser la virulente de tout mon mépris.
- « Bien sûr !... et vous je suppose que vous vous cantonnez au Off ? »
La brune ne me répondit pas ce qui eut comme effet de me faire sentir ridicule et déplacée. Je déteste toute forme de violence et m’en voulais aussitôt de ma sortie ombrageuse. Mais elle ne me laissa pas le temps de me reprendre.
- « Oui, et si j’ai un conseil à vous donner, c’est d’aller tout de suite vous faire rembourser ou de réserver pour demain ! ».
Sans attendre de réponse, ma pasionaria tourna les talons et me laissa plantée au milieu du trottoir, seule et peu fière de moi, avec cette contrariété supplémentaire de découvrir que le spectacle était annulé. Je voulus la rattraper pour lui demander plus de détails sur le mouvement de grève, mais déjà sa silhouette disparaissait dans la foule des badauds. Sa jupe toute en imprimés roses, légère, faisait une bien agréable danse autour de ses jambes fines. Je n’avais pas remarqué qu’elle puisse être jolie.
L’appartement était splendide. Après avoir été chercher la confirmation de l’annulation du spectacle et m’être informée sur la possibilité d’y assister le lendemain, j’avais rejoint l’adresse donnée par mon amie Béatrice qui avec beaucoup de gentillesse me prêtait son appartement pendant mon séjour. Connaissant l’aisance financière de Béatrice dont le père avait fait fortune dans l’immobilier pendant les années 80, je me doutais que le lieu serait agréable mais là, cela dépassait toutes mes espérances.
L’appartement se trouvait au deuxième étage d’une bâtisse du 19ème siècle, dans un hôtel particulier transformé en petite copropriété. Il devait faire dans les deux cents mètres carrés et était entouré de balcons en fer forgé du plus bel effet qui lui donnait un côté hispanisant. A l’intérieur, bois et stucs côtoyaient un mobilier au design contemporain. Les pièces, très hautes, regorgeaient d’objets chinés donnant une ambiance chaleureuse et du meilleur goût. Il y avait une multitude de chambres et je n’eus que l’embarras du choix.
Je m’installais dans la plus reculée afin d’être éloignée des rumeurs de la ville et de la rue très passante à cette heure. J’y découvris, derrière une porte de récupération à double vantaux de style afghan, une large salle de bain dotée de toutes les commodités, douche à l’italienne aux jets multiples, et surtout une baignoire monumentale qui s’avéra être un bijou de technologie, entre jacuzzi et spa, éclairée de lumières douces et changeantes. Je décidais de la remplir d’eau immédiatement d’autant que je venais de découvrir un système son de grande qualité auquel je couplais mon iPhone. Je choisis l’une de mes chansons préférées spéciales « bain chaud parfumé » et commençais à me déshabiller.
J’oubliais le voyage, la chaleur, la moiteur, l’inopportune du troisième âge et me laissais glisser au milieu de la douceur relaxante de ce bain. A part la musique, aucun bruit ne me parvenait. Je gardais les yeux entrouverts pour profiter des changements de lumières qui se déclinaient dans de doux tons pastels rose, bleu, vert, jaune… Mes pensées voguaient au gré de ce bien-être et peu à peu dérivèrent vers la jeune femme de la gare qui m’avait paru si hostile mais non moins charmante. Je revoyais sa silhouette se fondre dans la foule, longue et fine, et son pas sportif mais léger comme un métronome battant la mesure et qu’on entendrait à peine. Elle avait été agressive et j’avais mal réagi. Je regrettais de ne pas avoir été plus à l’écoute. Après tout, mon spectacle déprogrammé de ce soir me laissait toute liberté et j’aurai tout aussi bien pu aller voir son spectacle. Seulement maintenant, comment la retrouver dans cette ville aux rues circulaires et étroites où se produisaient chaque soir des dizaines de compagnies différentes ? Peut-être eussé-je du être plus accorte, moins irascible ? Si la jeune femme semblait vindicative, elle ne paraissait pas pour autant agressive et je concevais que ses revendications étaient justifiées et nécessitaient ce type de manifestations. Mais je n’aimais pas qu’on me contraigne. Non, je détestais cela. Mais je n’aurais pas du…
La musique que j’avais mise en boucle commençait à agir en moi comme le plus sûr des relaxants. Le rythme lent, envoûtant aux notes hypnotiques. La voix de la chanteuse, douce et brisée. Je fermais les yeux pour mieux m’en imprégner après avoir baissé le volume au minimum pour qu’il ne reste qu’un murmure. Je rajoutais un peu d’eau chaude. Je ne bougeais plus. Je pouvais sentir toutes les parties de mon corps se détendre peu à peu. Mes jambes, mes cuisses, mes bras, mon ventre. Ma respiration devenait calme et bercée dans cet univers aquatique, je retrouvais des sensations que des semaines stressantes avaient enfouies. Mes mains flottaient, relâchées. Je m’assoupis.
A SUIVRE....
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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