Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne

Le Bal des Débutantes 2 - La Répétition

-       Assez ! Assez ! Je n’en supporterai davantage !

 

Eugénie De Cœur-Font, Comtesse d’Anhausse, ponctua son cri d’un coup de pied rageur qui laissa sur le parquet ciré et luisant, la profonde empreinte du talon de sa mule en soie.

 

-       Tout ce ballet n’est qu’une gabegie ! un vulgaire remue-ménage désastreux qui n’augure en rien de la magnificence d’une ouverture d’un Bal des Débutantes !

 

Cette tempête inattendue fit instantanément le silence chez les musiciens et provoqua le chaos parmi les danseuses qui, moins talentueuses à la promptitude, vinrent s’entasser alors brutalement les unes contre les autres.

 

-       Madame Lorca ! On m’avait vanté votre talent de maîtresse de cérémonie, mais je constate que l’on m’a menti ! Que dis-je, trahie !

 

Madame Lorca, qui n’était déjà pas si grande et plutôt ronde, perdit encore quelque centimètres de sa hauteur, son nez  venant s’éclipser dans le haut emplumé de son col, ses yeux rejoignant d’un coup la commissure de ses lèvres qui se crispèrent en une grimace douloureuse et terrorisée. Un balbutiement vague et inaudible s’échappa de son pauvre corps contrit secoué par un léger spasme nerveux.

 

-       Ce n’est qu’une simple et modeste danse, Madame La Comtesse…

-       Une danse ?! Vous appelez cela une danse ?! Non Madame, ceci n’est pas une danse, ceci est une incohérence !

-       Peut-être qu’avec quelques temps de répétitions… alors permettez-moi de vous présenter, à toute bonne fin, notre sarabande que nos jeunes filles maîtrisent avec…

 

Madame Lorca n’osa aller plus loin. Le regard furieux et tempétueux de la Comtesse l’interrompit net. Les musiciens, un quatuor, violons, basse et clavecin, qui déjà se préparaient à l’exécution, se figèrent dans la pause d’attaque du morceau suivant, ne sachant s’ils devaient en débuter son interprétation ou attendre que les nobles  fureurs cessent de fuser au-dessus de leur tête. Prudemment, aucun n’émit de notes.

 

-       Il suffit Madame ! Vous ne sauriez m’imposer davantage ce défilé pataud d’oies poussives et geignardes ! Ce spectacle est affligeant, me soulève le cœur, m’indispose ! Jamais, vous m’entendez, jamais une aussi piteuse représentation ne sera donnée en ma demeure ! Je m’y refuse. Trouvez donc une étable ou une cour de ferme pour y traîner ses pauvres filles mais elles n’étaleront en aucun cas leurs sourires gras et benêts en ces lieux !

 

La Comtesse tourna le dos avec fureur, traversant le grand salon dans un nuage d’étoffes et de rubans empourprés et rageurs. A la porte, qu’un valet docile et rigide s’empressait d’ouvrir, elle stoppa net et fit volte-face, sa robe claquant sèchement comme voile au vent. Les secondes qui suivirent furent terribles d’un silence pesant, annonciateur d’un coup de semonce non moins ravageur. S’exprimant enfin, Eugénie de Cœur-Font pétrifia son auditoire par le ton de sa voix devenue alors aussi froide que le métal d’un couteau.

 

-       Vous avez un mois Madame Lorca, un mois pour transformer ce spectacle ignoble en un spectacle harmonieux et des plus gracieux. Faites ce que bon vous semble mais n’envisagez en aucun cas ma clémence si cela est pour m’outrager à nouveau ainsi.

 

La Comtesse disparut derrière la porte que le valet, tout comme il l’avait ouverte, prestement referma, sans doute convaincu qu’il valait mieux placer un rempart, fut-il de bois, entre l’ire céleste et les pauvres danseuses catastrophées. Le silence fut alors si lourd qu’on entendit à peine la chute de la pauvre Mademoiselle de La Tourmentière, tant engoncée dans une robe lui comprimant la taille jusqu’au martyre qu’elle ne lui laissait aucune latitude salutaire pour résister à cette tempête qui la faucha dans un dernier râle.

 

 

 

… A ce moment de l’histoire que je commençais à peine à lui raconter, Ingrid ne put contenir plus longtemps un rire étonnamment aigu et grave à la fois. Elle se plia d’abord en deux, se penchant sur elle même avant de partir en arrière et de continuer ainsi de rire à gorges déployées, à la limite de l’étranglement. Des larmes perlèrent sur le bord de ses yeux donnant à son regard une intensité particulièrement séduisante. D’un geste doux, elle me demanda d’arrêter là mon histoire afin qu’elle puisse se reprendre, mais dès qu’elle croisait à nouveau mon regard, elle repartait de plus belle dans un fou rire inextinguible. Je finis moi-même par être contaminée par ce rire et l’accompagnais alors sans retenue.

 

Mon dieu que c’était bon de rire. J’avais l’impression, depuis le départ de Lian ( La Fille de Pigalle  ) que plus jamais je n’arriverai à me laisser aller ainsi, à ressentir cette légèreté, ce soulagement de ne plus porter de fardeau. Je remerciais du fond du cœur Nicole Cisgnac, cette femme incroyable toute de fureur et d’empathie, d’avoir alors forcé ma porte, de m’avoir ainsi sans ménagement, remise sur pied et poussée hors de mon désespoir, de mon appartement, vers l’étage supérieur où m’attendait ma charmante voisine. ( Le Bal des Débutantes - 1 - Prologue  ) Je riais, je riais sans même plus savoir pourquoi je riais. La voix d’Ingrid et la mienne se mêlèrent ainsi dans des trémolos joyeux et compulsifs que rien ne semblait pouvoir arrêter. Nous étions hors de souffle, nos yeux noyés de larmes, aveuglées de nos propres éclats.

 

Ingrid fut la première à se calmer, son visage alors se figeant peu à peu dans une expression de presque gravité. Je suspendis mon rire, surprise et attendais qu’elle s’expliquât. Pourquoi soudain cette impression de si grand sérieux ?

 

-       Je peux vous dire quelque chose ?

 

La voix d’Ingrid était posée, avec maîtrise. Seul le coin extérieur de son œil droit semblait me sourire encore.

 

-       Bien sûr… je vous en prie…

-       Je.. comment dire…

 

C’était la première fois que je voyais la jeune femme ainsi hésitante, elle qui avait été, jusque là, plutôt à son aise. Je tentais de l’aider.

 

-       Je vous ennuie, c’est ça ? Non mais vous pouvez être franche, vous savez, j’en ai endormi plus d’une.. avec mes histoires….

-       Non, je suis sérieuse…

 

Oh oui, je voyais bien à quel point elle pouvait être sérieuse mais ne savais vraiment pas quoi faire, toute empêtrée comme d’habitude dans ma timidité et ce manque de confiance en moi qui me faisait toujours m’étonner d’être écoutée et encore plus, d’être appréciée. Je ne parle même pas d’être aimée…  Ingrid reprit.

 

-       Promettez-moi une chose…

-       Oui ?...

 

Mais que pouvait-elle donc bien attendre de moi ?

 

-       Promettez-moi de ne pas partir avant la fin de cette histoire…

-       Oui.. bien sûr…

 

Je ne voyais pas où la jeune femme voulait en venir. Bien sûr que j’allais finir cette histoire. Je n’envisageais pas autre chose…

 

-       Promettez-moi d’aller au bout, jusqu’au bout de votre histoire… avant de me quitter…

 

Il y avait dans sa requête une insistance que je ne comprenais toujours pas mais que je sentais confusément déborder du cadre strict de la curiosité. Cela étonnamment insuffla à mon récit un axe différent… Je pris alors un temps, une respiration, laissant mon regard vagabonder dans la pièce à la lumière douce. Il y avait à côté d’Ingrid, posée sur une petite table basse en marqueterie délicate de bois précieux, métal et nacre, la gravure d’une jeune femme, vraisemblablement courant XIXème, vêtue d’un pantalon à la garçonne et portant un fleuret à main gauche. Je regardai alors alternativement Ingrid attentive, comme recueillie, soudain silencieuse et la gravure qui elle semblait me tendre un nouveau chapitre et dessiner alors devant mes yeux les contours d’un nouveau personnage. Je continuais prise soudain d’une presque fièvre, mes cinq sens en éveil…

 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
M. T.

Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
Voir le profil de M. T. sur le portail Overblog

Commenter cet article
L
<br /> une ouverture tout en impatience ... merci de nous l'accorder<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Ces demoiselles se préparent ! une solution se dessine ! mais aura-t-elle l'heur de plaire à notre Comtesse ?...<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> J'attends (im)patiemment les premières notes... et pouvoir ainsi tournoyer, danser, m'ennivrer, m'évader dans ce bal si prometteur.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Alors je vous le ferai plein de bulles ce bal, pétillant, ennivrant et libre.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Tout ce petit monde a raison, c'est bon de vous retrouver.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci Chester... et c'est bon de vous savoir toutes là...<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> J attends avec Pop's...patiemment..enfin...pas trop quand meme..toute a la joie de vous relire..Au fait, c'est bon de vous lire,le saviez-vous?<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> C'est tout le paradoxe de l'auteur, bien chère Royal, d'écrire pour être lu et de ne jamais comprendre pourquoi on vient vous lire...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Les cinq sens en eveil dite vous ... Et bien mon sixieme me dit que le chapitre trois de ce bal sera un vrai songe d'une nuit d'ete, que je vais attendre avec patience enveloppe dans une douce<br /> chaleur ...<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Promis, je ne vous ferai pas patienter trop longtemps...<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> J'ai touché les rubans de la Comtesse, j'ai entendu ses talons claquer sur le parquet, j'ai ri de voir Madame de la Tourmentière ainsi boudinée dans sa robe.<br /> <br /> En un mot, j'y étais et j'aurais même aimé rester plus longtemps.<br /> <br /> J<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Alors restez aux alentours, les musiciens ne vont pas tarder à entamer leur sarabande...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Et ben! Depuis le temps que nous attendions qu'il débute vraiment ce bal... vivement la suite...<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Mea culpa...<br /> <br /> <br /> <br />