Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
20 Août 2010
Je vieillis, peu à peu, les ans me mangent, gentiment, sans haine, sans être si méchants que ça, même plutôt gentils. Ils ne m’en veulent pas. Non. Ils me suivent depuis si longtemps. Je les connais, un par un, tous, par leur nom. Un an, deux ans, trois…. Douze ans… vingt, trente… Je les aime sans vraiment de nostalgie. Je sais qu’ils passent, que c’est leur destin. Et qu’ils m’accompagneront jusqu’au bout. Fidèles. Ils sont justes là. Un peu comme une ombre plus ou moins présente selon la lumière qui me borde. Certains sont doux, si doux, d’autres plus violents, cassants mais nul ne m’abandonne jusqu’à présent. Non, nul ne m’abandonne. Ils coulent, ronronnent, ragent, se débattent mais s'ecclipsent en fête, en ces moments si particuliers où l’on célèbre leur premier jour. Oh, allez, pas toujours, non. Certains anniversaires se sont fait en silence. Sans aucun bruit. Une année qui s’en va remplacée par une autre sur la pointe des pieds. A peine le frisson d’une fenêtre laissée entrouverte. Car chaque départ est alors une page tournée. Mais je n’en ai jamais pleuré un seul. Non, je ne pleure pas à ces moments là. Je préfère lorsqu’il fait plus noir, lorsque la nuit m’efface parce que je n’aime pas moi-même glisser au fond des mains la tristesse humide et salée. Mes ans me gardent alors de ces détresses là, tous présents sur mes épaules, un peu lourds parfois mais chauds, rassurants, mes compagnons. Où que j’aille, ils iront. Sans poser de questions, sans jugement mais avec, comme lorsqu'on ôte une petite épine, un léger soupir de douleur, un râle si tendre qui exhale pourtant une partie de souffle, sans qu’on y prenne garde. Rien de si pénible car tout cela est fait avec discrétion, délicatement. J’ai des années qui m’aiment. C’est ma chance. Une vraie. Je le sais pour celles qui ont été, et pour celles qui viendront. Encore combien ? Je ne sais pas. J’en ai le décompte, pas la somme.
Assise sur cette chaise, devant cette table blanche, tout cela m’a pris par surprise. J’ai des années ludiques, surprenantes, coquines. Des années qui pétillent, éclatent en jeu de maïs soufflé, avec des rires d’enfants et des voix de femmes qui m’appellent et prononcent mon prénom avec cette tendresse, cet amour, qui, tout au fil de ce temps, lâche en écho, en cascades, une partie de moi, chacune ayant parcouru, elles aussi, une deux ou tant et plus d’années partagées. Aimées.
Je ne sais pas pourquoi je pense à cela aujourd’hui. Les pensées ne sont pas toutes à portée de raison. J’ai juste suivi un fil, tout petit, vague souvenir, une voix revenue en mémoire, de si loin, de ces ans où, devant l’image noire et blanc, je découvrais un monde de rêves qui allaient à jamais devenir le mien. Mon monde où mes ans allaient venir se blottir, les uns après les autres, s’accumuler, se serrer, se bousculer, se télescoper parfois, mais irrémédiablement me bâtir.
Voilà… un tout petit morceau de ma mémoire….
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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