Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne

Le Bal des Débutantes - 1 - Prologue

Depuis que Lian avait disparu, m’avait quittée, volatilisée à l’intérieur de ce bar de Pigalle, j’avais opéré une tactique de replis et ne sortais guère de mon appartement, juste le strict nécessaire, aller retour vers quelques obligations incontournables, à peine quelques courses pour me nourrir… Surtout, j’avais fait la sourde oreille aux multiples injonctions de mon éditrice, Karla, toujours prête à m’envoyer dans des galères, la dernière ayant été celle qui m’avait menée jusqu’à Lian, justement…J’étais restée prostrée des journées entières dans mon antre, ma caverne, me complaisant dans cette solitude, dans ma détresse, compatissant seule sur mes chagrins. Le pire était que je n’arrivais plus à écrire. Je n’alignais plus une seule ligne. Les pages, les feuillets restaient vierges, ordinateur éteint, pas même un carnet à portée. Seul internet  trouvait grâce à mes yeux dans l’attente que j’étais d’un éventuel message de celle dont j’étais tombée amoureuse et dont la disparition me vrillait le cœur douloureusement.

 

Il devait être 17H00 lorsqu’on frappa à ma porte. Madame Pereira, ma concierge, montait me voir de temps à autre, m’apportant quelques restes de dîner, généralement des spécialités de son pays, des plats très épicés et passablement salés. Mais sa façon de se sentir concernée par mon état me touchait et m’étonnait, n’ayant connu jusqu’à présent de sa personnalité que l’aspect cancanier et suspicieux. Je notais dans ma mémoire de me souvenir d’arrêter ainsi de me faire des a priori chez les gens sans vraiment les connaître. En traînant les pieds, je me dirigeais vers la porte et l’ouvris. En lieu et place de Madame Pereira se tenait, tout sourire, ma charmante voisine du dessus.

 

-       Je ne vous dérange pas, j’espère ?

-       Non…(à peine aimable…)

-       Je me demandais si vous ne vouliez pas venir prendre un thé à la maison.. cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vues, n’est-ce pas ? J’ai fait des cookies…

 

Mais qu’est-ce que j’en avais à faire, moi, de son thé, de ses cookies et de ses prévenances, de ses minauderies. J’avais envie qu’on me laisse tranquille, qu’elle remonte chez elle, qu’elle me laisse refermer ma porte. Je formais sur mes lèvres la forme d’un « désolé mais » lorsque…

 

-       Et bien moi je trouve que c’est une excellente idée !

 

La voix s’état projetée d’elle-même de la cage d’escalier, une voix forte mais un peu essoufflée. Deux secondes plus tard, la crinière rousse de la Cisgnac apparut.

 

-       Bon sang… voilà la raison pour laquelle je n’habite pas dans de vieux immeubles… leurs ascenseurs sont toujours en panne !

 

Il est vrai que le mien était hors service une semaine sur deux mais cela ne me dérangeait guère, ma claustrophobie me faisant toujours préférer l’escalier à ses cabines étouffantes, même si celle là était ouverte.

 

La Cisgnac reprit son souffle sur le palier et toisa ma charmante voisine dont j’avais malencontreusement oublié le prénom ! Mince, comment s’appelait-elle déjà ? Evidemment, Nicole Cisgnac fondit les deux pieds dans mon désarroi.

 

-       Vous pourriez faire les présentations, ma petite. Vous voyez, ce sont des choses qu’on fait dans le grand monde… (me pulvérisant d’un regard  mêlant la critique et la lassitude agacée)… A quand remonte votre dernière douche ?

 

Toujours aussi prévenante et attentionnée, elle m’enjoignit bras tendu, doigt pointé  de rentrer dans mon appartement puis se retourna vers ma voisine qui s’appelait… mince….

 

-       Vous habitez où, belle enfant ?

-       Juste au-dessus…

 

Gracieusement, ma voisine tendit sa main gracile à l’échevelée.

 

-       Je m’appelle Ingrid (petit regard amusé mais non vexé vers moi)

-       Enchantée Ingrid, moi, c’est Nicole. Je vous la remets à neuf et je vous l’envoie dans une petite demi-heure. Ca vous va ?

-       Parfait, je fais faire chauffer l’eau.

-       Attention, frémissante l’eau, hein ? Ne la faites pas bouillir où vous ruineriez votre thé !

-       Bien entendu…

 

Ingrid, oui Ingrid, bien sûr !, s’en retourna à son étage me décochant un très doux sourire.

 

La Cisgnac me poussa à l’intérieur de mon appartement.

 

-       Charmante, cette petite !

 

Au milieu de mon salon, elle poussa un cri.

 

-       Fouchtra ! vous vivez vraiment là-dedans ?!

 

A son cri, mes yeux s’ouvrirent comme ils ne l’avaient pas fait certainement depuis un bon moment et je découvrais alors pareillement mon salon. Une vraie catastrophe. Une bonne demi douzaine de mugs sales, pour certaines encore remplies de café froid, traînaient de droite et de gauche. Des paquets de gâteaux, ma principale nourriture avec quelques yaourts, recouvraient la table basse et le buffet.

 

-       Vous savez, ma petite, c’est du grand n’importe quoi ! et puis, je sais que nous sommes en hiver, mais une petite aération quotidienne de votre lieu de vie, enfin si on peut appeler cela comme ça, ne serait pas superflue ! Bon, allez, disparaissez sous la douche, je vais voir ce que je peux faire en attendant… si on peut encore faire quelque chose…

 

Je disparus sans demander mon reste en direction de la salle de bain pendant que j’entendais s’entrechoquer deux verres et qu’un juron échappa de la bouche de la Cisgnac.

 

-       Nom d’un glas ! c’est quoi ce bazar qui colle, là !

 

Je refermais la porte derrière moi et mélangeais l’eau chaude et l’eau froide quelques instants avant de rentrer sous la douche. Je me déshabillais et surpris ma silhouette dans la glace. Moi, qui suis par essence gourmande et ne respecte pas toujours mon poids idéal, j’étais presque cadavérique et la pâleur de mes joues renforçait cet aspect chétif que je ne me connaissais pas.C’est à ce moment là que cela me tomba dessus. Je me mis à pleurer, secouée par d’incroyables sanglots qui me remontaient du fond de l’âme et déchiraient mon cœur, mes poumons, ma gorge. C’est à peine si je pouvais respirer. Je me tenais au lavabo puis, n’en pouvant plus, me mis à genoux sur le carrelage froid. Mais rien ne me dérangeait. J’avais l’impression enfin de sortir de moi une douleur que j’avais enfouie à coup d’immobilisme et de déconnection de mon cerveau. Je pleurais, sans relâche, et cette pluie de larmes, ce torrent, cet orage qui éclatait finalement dans ma tête me libérait de ma torpeur, me soulageait de ce poids qui plombait mon estomac depuis tant de jours. Je pleurais, mes mains ne retenant plus rien, le visage enfoui dans un drap de bain, à moitié couchée sur ce sol glacial, vide, sans force, le corps presque convulsif.

 

L’eau me régénéra. Je n’avais pas connu de douche meilleure, plus apaisante, plus vivifiante malgré la douleur que me procurait chacune des gouttes qui frappait la peau. Je me frottais avec le savon pendant de longues minutes. J’avais besoin de me laver de tout mon chagrin, de me nettoyer de mes douleurs, de rincer abondamment cette chape de désespoir qui m’avait contrainte à l’abandon de moi-même.

 

Je sortis et me glissais dans un peignoir propre, épais, doux. La chaleur que je ressentis alors m’envahit brutalement et mon corps fût secoué d’un dernier frisson, presque à l’image d’un vertige sensuel, lorsque l’idée de l’autre provoque cette vague instantané et puissante de désir. Mon corps était en vie.

 

Dans le salon, il n’y avait aucun bruit, ni dans la cuisine. Que pouvait donc bien faire la Cisgnac ? S’était-elle endormie subitement sur mon canapé, prise d’une de ses crises de narcolepsie intempestive ? Non même pas. Je la trouvais debout devant la fenêtre du salon, contemplative et silencieuse…Elle se tourna vers moi avec le plus grand des sourires. J’angoissais instantanément… Que m’avait-elle réservée ?

 

-       Ha… voilà qui est mieux… Mais, détrompez-moi si je m'abuse,  vous ne comptez quand même pas monter chez votre charmante voisine dans cette tenue, certes aguichante, mais qui ne serait absolument pas d’à propos.

-       Je n’ai pas la moindre intention, Nicole, de monter.

 

Elle se refrogna sur le champs.

 

-       Oui, mais ça, ça va pas être possible !

-       Quoi ?

-       De rester ! d’ici dix minutes, j’ai toute une équipe qui arrive pour prendre en main votre appartement et je crois, sans vouloir vous vexer, qu’au niveau du rafraîchissement, il va y avoir du travail !

 

L’idée de voir débarquer chez moi des inconnus pour faire mon ménage et ranger me glaça. Je déteste qu’on touche ainsi à mes affaires, ne serait-ce qu’à ma vaisselle. Et si on me cassait quelque chose. Je déclinais l’offre farouchement.

 

-       Non, désolée, Nicole, je n’y tiens pas..

-       Ha ! Super les voilà !

 

Elle ouvrit en grand la baie vitrée.

 

-       Houhou ! Les enfants ! Je suis là… (se retournant vers moi) quel étage déjà ?

-       Quatrième…

-       Quatrième les enfants ! vite ! vous avez du pain sur la planche ! (se retournant à nouveau devant moi) Pardon, je n’ai pas entendu ce que vous disiez précédemment ?…

 

En guise de réponse, je rejoignis ma chambre pour me vêtir.

 

Lorsque, quelques minutes plus tard, je traversais à nouveau le salon, une agitation extraordinaire y régnait. De la musique avait été mise, deux hommes poussaient le sofa, un autre commentait mes tableaux pendant qu’une femme réunissait les différentes mugs sur un plateau avec un air de dégoût prononcé.

 

-       On y va !

 

La voix venait de l’entrée. La Cisgnac m’attendait, battant du pied, impatiente, devant la porte.

 

-       Dites, ma petite, je n’ai quand même pas que ça à faire, moi, de ma journée. Je crois qu’on est au point, là, non ? allez oust, en l’air ! heu, en haut ! montez.. allez, la pauvre vous attend puis assez longtemps comme ça, et si elle doit faire réchauffer votre thé, c’est foutu…

 

La porte claqua derrière moi. Cisgnac descendit les premières marche avant de me toiser.

 

-       Et la prochaine fois que vous me refaites un coup pareil, ma petite, je vous garantis que vous m’entendrez chanter, et pas en mineur ! Non, mais… je vais pas déclencher le plan Orsec à chaque fois que je vous vois, moi…

 

Les derniers mots se perdirent dans la cage d’escalier. Je vis disparaître la Cisgnac presque à regret.

 

Devant la porte d’Ingrid (Ingrid, Ingrid, j’avais bien répété), je pris une profonde respiration. J’hésitais à frapper mais l’idée de me retrouver chez moi au beau milieu de la horde sauvage stoppa net toute velléité de redescendre. Enfin, je frappais.

 

La porte s’ouvrit aussitôt, me surprenant presque.

 

-       Ha, vous voilà… venez, entrez… je suis tellement heureuse de vous voir…

 

Cette petite phrase, si anodine, presque conventionnelle, remplit mon corps de douceur. Mon dieu qu’il faisait bon d’être attendue. Dans le salon où je pénétrais flottait une délicieuse odeur de gâteaux cuits et chauds. Le thé fumait sur une petite table basse au dessus de marbre rose. Il régnait un parfum de calme et de sérénité.

 

Ingrid remplit aussitôt une tasse d’un thé fumant et odorant, sombre.

 

-       Un peu de lait ?  mais je ne vous le conseille pas trop avec le Szechwan…

-       D’accord.. okay… non alors…

 

Je venais encore brillamment de prouver mes qualités de dialoguiste en pareil occasion. Je regardais Ingrid qui portait, d’un air attentif, la tasse à ses lèvres. Elle huma d’abord son infusion puis commença à la boire à petites gorgées avec un air délicieux de jeune fille de bonne famille parfaitement bien éduquée. Son regard croisa le mien et s’alluma. Elle reposa  sa tasse, me fixa, soupira, puis, me décochant le plus subtil des sourires me dit :

 

-       Vous m’aviez raconté une histoire la dernière fois…  L'hôtel de La Borgne , n’est-ce pas ? Vous savez, j’avais adoré… vraiment… Vous racontez très bien. J’aime le son de votre voix.

-       Merci… (très brillamment dit…)

-       Vous recommenceriez, ce soir, pour moi ?…s’il vous plaît…

 

Le subtil et presque imperceptible battement de ses longs cils rattrapèrent au fond de ma gorge le « non, désolée » que j’allais lui présenter.

 

-       Si vous voulez…

-       Merveilleux ! Et comment s’appelle cette histoire ?

-       Comment s’appelle-t-elle ?

 

C’est dans ces moments où ma réactivité d’auteur entre en jeu et parfois même me surprend. Avisant derrière la tête de ma voisine, si jeune, si fraîche, la reproduction d’une jeune fille en tenue de bal, le titre vint de lui-même, s’échappant d’une contrée de moi-même que je ne maîtrise pas tout à fait mais qui est si viscéralement présente en  moi.

 

-       Cette histoire s’intitule, « Le bal des Débutantes »…

 

 

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À propos
M. T.

Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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S
<br /> Je suis liee a une autre Sophie, vos textes sont superbes.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci, les Sophie sont toujours les bienvenues ici !<br /> <br /> <br />
S
<br /> D’un bar, a la lissière d’une piste de décollage d’un pays inconnu de tous, j’ai dégustée ce prologue en petites touches. Vous nous conduisez encore avec cette élégance distinguée vers d’autres<br /> lieux. Et pourtant il s’agit de juste quelques marches, de juste un étage plus haut. Et puis tiens, je vais rester la, assise dans ce fauteuil du bout du monde a tenté de mettre un peu de pourpre<br /> dans ma vie, la patience étant parait-il une vertu cardinale …<br /> <br /> <br />
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M
<br /> La patience est même mère de toutes les vertus. Alors restez dans ce fauteuil n'en bougez pas ou si vous le quittez, que ce soit pour des cîmes de délices. C'est tout le bien que je souhaite, yes I<br /> do... I do...<br /> <br /> <br />
S
<br /> Oui... a quand l ouverture du bal...?J ai des impatiences de jeune fille maintenant....l attente du carton d invitation.. que vais je mettre??!Costume ou robe...?<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Des impatiences de jeune fille ?... hum... vous ne croyez pas si bien dire, chère Sophie ! le carton d'invitation arrive... quant à savoir si ce sera un costume ou une robe... sans rien dévoiler...<br /> j'espère que dans votre vie, vous savez faire confiance à vos intuitions...<br /> <br /> <br />
L
<br /> quelle mise en bouche! il me tarde l'ouverture du bal...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Gardez cette imaptience, elle vous va à ravir...<br /> <br /> <br />
S
<br /> Cela s'annonce bien, de la bonne lecture en perspective...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci.... heu... Sophie ! (Faites moi rire comme ça tous les matins et je vous promets que vous n'aurez pas à regretter ma récompense...)<br /> <br /> <br />
S
<br /> Trop forte! pliée de rire au réveil, j'adore, fouchtra!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Oui, je sais, lorsque la Cisgnac m'a sortie ça... j'ai prié pour qu'elle se rendorme vite !<br /> <br /> <br />