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L'Evanescente

L'Evanescente

Il y eut un bruit juste derrière moi. Dans cette rue déserte de ce quartier éloigné, je pressai le pas, inquiète d’être suivie. Je commençais à regretter de n’avoir pas accepté la proposition de David, de me raccompagner chez moi. Dans le bar où nous avions passé la soirée avec des collègues, nous avions bu, plus que de raison, pour fêter la clôture de notre plus gros projet de l’année. Et de notre plus gros budget aussi. Cinq semaines passées à réfléchir sur les nouvelles tendances en matière culinaire et leurs promotions auprès des professionnels de bouche. David s’était montré pressant. Collant et entreprenant. Et je n’avais pas voulu, en acceptant sa compagnie, lui laisser de faux espoirs. Non. Je ne coucherai pas avec lui ce soir. En fait, je ne savais pas trop comment lui dire que je préférais, depuis un certain temps, me retrouver seule. Prendre du recul sur notre histoire. Du coup, j’avais du gérer ses avances et ses mains baladeuses sans qu’il ne comprenne mes rejets. Alors j'avais bu. Un peu trop sans doute. Pour ne pas trop penser.

Mais dans cette rue où seuls mes pas résonnaient sur les pavés humides, je n’en menais pas large et commençais à regretter sérieusement mon choix. Il devait être deux heures du matin. Peut-être plus. Ma tête tournait légèrement et je ressentais ma solitude comme vulnérable lorsque parfois, en échos à mes propres pas, d’autres, invisibles, résonnaient.

Je pressai le pas, m’empêchant de courir pour ne pas me laisser submerger par ma propre peur. Après tout, peut-être que tout cela n’était que le fruit de mon imagination. Et le résultat de quelques verres en trop. Je n’étais plus si loin de mon immeuble. Il ne me restait plus que quelques rues à parcourir dans ce centre ville historique où j’habitais et que j’aimais tant. Mais d’habitude, Je m’y sentais à mon aise. Mais pas ce soir. Pas cette nuit. Sans savoir pourquoi, je respirais avec difficulté, me retournant fréquemment, espérant à tout instant rencontrer un groupe, juste quelqu’un, une présence rassurante dont je pourrais réclamer l’aide.

Je sortis mon téléphone portable et composai le numéro de David. Mon appel bascula directement sur sa messagerie.

— Salut, c’est moi. Est-ce que tu peux me rappeler s’il te plait ?

Comme si le fait qu’il me rappelle allait changer quoi que ce soit si je me faisais agresser.

Encore une fois, je surpris le bruit lointain trahissant une présence. Les rues piétonnes que j’empruntais étaient vides à cette heure et leurs nombreux recoins sombres propices à faire monter mon angoisse.

Et puis il y avait l’alcool qui embuait mon esprit et stimulait mes craintes. Je n’ai jamais manqué d’imagination et pour l’heure, elle tournait à plein régime.

Enfin mon immeuble.

Fébrile, je plongeai la main dans mon sac où mes doigts rencontrèrent aussitôt le métal froid de mon trousseau de clé. Je me préparai à composer le code de mon immeuble. J’étais en apnée. La respiration bloquée, j’ouvris le battant de la porte cochère avant de le repousser derrière moi. Mais le frein de la porte m’empêcha de le refermer rapidement.

Je sentis une résistance. Un main l’empêchait de se rabattre.

Je me pétrifiai. Oubliant d’enclencher la minuterie. Reculant avant de comprendre que je ferai mieux de hurler et appeler à mon aide. Quelqu’un devait bien encore être réveillé dans mon immeuble. Mais aucun son ne sortit de ma gorge.

La porte s’ouvrit. Et une ombre apparut.

Mais pas aussi grande. Ni aussi large que j’aurais attendu. Pas vraiment imposante.

— J’espère que je ne vous ai pas fait peur ?

La voix féminine me surprit. Je ne m’y attendais pas. La fine silhouette tâtonna de la main le mur avant de trouver l’interrupteur. Une maigre et jaune lumière enfin se fit. Dévoilant le visage d’une jeune femme un peu rouge sans doute d’avoir couru.

— Je suis désolée de vous avoir suivi mais vous avez oublié ceci au bar. Je me suis dit que vous en auriez besoin.

La jeune femme me tendit un épais portefeuille en tissu brodé, coloré. Le mien. Celui que j’avais acheté sur un marché, cet été, dans un dédale des rues d’Aix.

Je n’en revenais pas. Machinalement, j’ouvris mon sac pour vérifier qu’il n’y était pas. Mais cette femme avait raison. C’était bien le mien.

— Merci, balbutiai-je. Vous l’avez récupéré où ?

— Sur le comptoir. Vous veniez de payer et l’un de vos amis est arrivé pour vous parler. Il a du vous distraire et du coup vous êtes partie en les abandonnant derrière vous.

— Les ?

— Votre porte-carte et votre ami. Il n’avait pas vraiment l’air content du reste. Un amoureux éconduit ?

Je recommençais à respirer. Presque à sourire de la frayeur que je m’étais occasionnée.

— Non. Enfin, oui, il était un peu lourd ce soir.

— En même temps, je le comprends. Pas d’être lourd, s’exclama-t-elle dans un rire cristallin. Mais d’avoir eu envie de vous retenir.

Cette femme était étrange et extrêmement directe. Belle aussi. Le corps fin et qu’on sentait musclé. Plutôt grande. Elle portait un jean et une chemise blanche, très large. Les cheveux mi-longs, rejetés en arrière, lui donnaient un air un peu androgyne. Pourtant, il se dégageait d’elle une féminité certaine.

— Je ne sais pas comment vous remercier. C’est vraiment très gentil à vous. J’ai toutes mes cartes dedans et mon passe de bureau. Je ne sais pas comment vous remercier.

— En me proposant un dernier verre ? Je suis partie en laissant le mien à ma table.

— Bien sûr… répondis-je, d’une voix mal assurée, comprenant que cette demande n’attendait pas un refus.

— Je suis au sixième sans ascenseur, m’excusai-je, comme si cette révélation allait décourager la jeune femme.

Je lui fis signe de me suivre. Pour rejoindre l’escalier de l’immeuble fond de cour. Nous gravîmes les marches en bois cirées du vieil escalier en silence. Moi devant. La jeune femme juste derrière moi. Je sentais sa présence et son souffle. Sa main qui glissait, légère, sur la rampe. Et parfois, venait rencontrer mes doigts.

Cette rencontre étrange me troublait. Comme le regard de l’inconnue sur moi. Sur mon corps devant elle. Sur mes fesses, forcément. Dont j’eus soudain l’envie d’en accentuer le mouvement.

Décidément, j’avais trop bu et je priai pour que ce dernier verre ne me soit pas fatal. Réagissant parfois violemment à une trop forte dose d’alcool.

Avec maladresse, un peu essoufflée sans que cela ne soit du qu’à la montée, je glissai dans la serrure la clé avant de la tourner. Je me dégageai pour faire entrer l’inconnue chez moi. Me rappelant que cette dernière ne m’avait pas donné son nom. Retrouvant une appréhension de laisser pénétrer quelqu’un dans mon intimité que je ne connaissais pas. Après tout, cette femme était-elle munie que de bonnes intentions ?

Une pensée me tarabustait pendant que l’inconnue faisait rapidement le tour de mon salon, petit mais chaleureux. Je ne se souvenais pas d’avoir laissé derrière moi mon porte-carte. D’autant que ce soir, je n’avais rien payé. David avait insisté pour régler avec la carte corporate. « On peut bien charger cette sortie sur la société » avait-il dit. J'en étais sûre. Je n’avais pas sorti mon porte-carte.

En revanche, je me souvins d’une bousculade, juste avant de sortir du bar. Et d’un regard pénétrant croisé alors. Du même bleu profond que celui de l’inconnue. Ce peut-il qu’elle ait délibérément pris mon porte-carte à ce moment là ? Je rejetai cette idée stupide.

— C’est charmant chez vous. J’aime beaucoup.

— Merci. C’est gentil. Qu’est-ce que je peux vous servir ?

— Vous avez du Bourbon ?

— Non… mais j’ai de la vodka au frais.

— Alors allons y pour de la vodka.

Je me rendis dans ma minuscule cuisine. Toujours mal à l’aise. Je regrettais d’avoir fait rentrer cette femme chez moi. Non pas qu’elle me paraisse dangereuse mais il y avait chez elle un « je-ne-sais-quoi » intrigant. Déstabilisant. Surtout lorsqu’elle posait son regard sur moi. Et semblait me déshabiller du regard. Ou pire. Voir à travers moi.

Je revins avec deux petits verres et la bouteille. L’inconnue avait ouvert la fenêtre et sortit une cigarette qu’elle porta à ses lèvres.

— Cela ne vous dérange pas ?

J’avais arrêté de fumer depuis six mois maintenant. Et je n’aimais pas qu’on le fasse chez moi. Mais je ne sus pas dire non à cette demande prononcée d’une voix si suave.

— Je n’ai pas entendu votre prénom tout à l’heure… tentai-je maladroitement.

— Parce que je ne l’ai pas donné, répondit la jeune femme, exhalant une bouffée par ses lèvres entrouvertes.

Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Pourquoi j’avais laissé cette femme rentrer chez elle et pourquoi, je la laissai agir à sa guise.

Et si malgré son visage angélique et son air policé, elle s’avérait une dangereuse criminelle ou une sadique perverse ?

­ — On trinque ?

Je levai mon verre en sa direction et avalai d’un trait la vodka qui me piqua la gorge. La jeune femme qui ne m’avait toujours pas donné son nom tirait lentement une bouffée en regardant vers la cour de la fenêtre ouverte. Au moment où mon téléphone émis le signal d’un message reçu.

J’y jetai un bref regard. David me demandait s’il pouvait passer. Décidément, il ne lâchait rien et son insistance m’agaça. En même temps, cela pouvait être l’occasion de faire sortir l’inconnue de chez moi.

— Un message de votre ami ? s’amusa la jeune femme, sans même me regarder. Vous semblez lui manquer beaucoup.

— Oui.. enfin, non. Je ne vais pas lui répondre.

Je me mordis les lèvres d’avoir parlé aussi vite, me bloquant ainsi une possibilité de me débarrasser de l’inconnue. Mais en avais-je aussi envie que cela ?

 — Vous êtes fiancés ? me demanda-t-elle en se retournant cette fois vers moi.

— Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ! m’écriai-je, plus durement que je ne l’aurais voulu.

— Vous ne semblez pas sûre de vous.

Je marquai un temps, sans comprendre ce que l’inconnue voulait insinuer.

— Je vous ai observé, ce soir, avec vos amis. Vous aviez l’air proche de lui. Et en même temps, très lointaine.

— Les relations, c'est parfois compliqué, m’empressai-je d'ajouter.

En m’en voulant encore une fois de donner l’impression de vouloir me justifier.

— Je comprends mieux son insistance. Cela ne doit pas être évident d’être rejeté par vous.

— Mais je ne le rejette pas.

— Si vous le dites...

J’avalai ma salive. Et pour me donner une constance, je remplis à nouveau le verre que je venais de vider. C’était la première fois qu’une femme me parlait ainsi. Avais-je donné des signes d’intérêts que la jeune femme avait mal interprété ? M’étais-je montrée provocante ? Je savais que, parfois, lorsque je buvais, je pouvais me montrer aguicheuse malgré moi. Mais je n’avais, encore une fois, aucun souvenir d’avoir eu une attitude équivoque envers cette inconnue.

— Pourquoi nous avez-vous « observés » ? tentai-je pour reprendre le pouvoir sur la conversation. Vous n’aviez rien de mieux à faire ?

Je lui lançai cette dernière interrogation sur un ton acerbe que je regrettais aussitôt. Mais décidai de garder un air sûr de moi.

L‘inconnue me dévisagea longuement avant de répondre.

— Je suis auteur. Et j’aime trainer dans des bars pour regarder les gens. Essayer de deviner leur histoire. M’en inspirer. Écrire à un côté anthropophage. On se nourrit des autres. Tout le temps. Alors oui. Parfois je remarque quelqu’un et je ne quitte pas cette personne des yeux de la soirée. Et ce soir, c’était vous.

Cet aveu me rasséréna. Je n’avais donc pas affaire à une serial killeuse mais à un auteur en mal d’inspiration. Et que son intérêt se soit porté sur moi me flatta. Je n’avais donc rien à craindre de cette femme. Et voulus en savoir plus. Elle avait titillé ma curiosité.

— Alors, c’est quoi mon histoire ? Je vous ai inspiré quoi ?

Encore une fois, l’inconnue prit son temps pour me répondre. Puis sourit, légèrement, avant de s’installer à son aise sur le canapé où j’étais moi-même assise.

— Vous voulez vraiment le savoir ?

— Oui. Ce serait amusant de voir ce que vous pourriez penser de moi. Comment vous imaginez ma vie.

— Mais je n’imagine rien. Je prends. C’est tout.

Je ne sus quoi lui répondre, intriguée. Ne sachant trop ce qu’elle entendait pas là.

Elle reprit sans attendre.

— Par exemple, lorsque je vous ai vu, au bar, j’ai vu quelqu’un qui buvait, beaucoup, pour s’amuser, se décontracter, se débarrasser de ses problèmes sans pour autant y arriver. Je me trompe ?

Ce projet professionnel important qui m’avait angoissé pendant des semaines me forçait à admettre que l’inconnue n’avait pas tout à fait tort.

— Et qu’avez-vous vu d’autre ? la défiai-je.

— Vous voulez vraiment savoir ?

— Bien sûr, répondis-je avec un faux aplomb, un peu inquiète de ce qu’elle pourrait me révéler.

L’inconnue resta encore un moment silencieuse puis soupira. Comme si elle se rendait à ma demande.

— Je crois que vous n’êtes pas celle que vous pensez.

­ — Comment cela ?

Encore un soupir. Puis la jeune femme, sans un mot, se rapprocha de moi. Je n’osai pas faire un seul mouvement. Pétrifiée par ce qu’il pourrait se passer et surtout, par ce que je pouvais espérer qu’il arrive.

­— Je vous ai regardé évoluer avec vos amis. Vous êtes quelqu’un de brillant, de drôle, de caustique parfois. Et lorsque vous étiez avec David, je vous sentais tout sauf amoureuse. Je peux savoir ce qui vous a attiré chez lui ?

— Je ne sais pas… Il est gentil.

— Gentil ?

Je me sentis vexée par sa réaction. Et par mon incapacité à le décrire mieux.

— Oui. Il est charmant et c’est un amant extraordinaire.

— Ho… alors… si David vous comble… Et comment s’y prend-il ?

Je ne savais pas comment réagir à sa curiosité. Je trouvais que cette femme allait trop loin. Je ne la connaissais pas. Je n’allais pas lui raconter ma vie sexuelle avec mon petit ami. Je trouvais son intérêt dérangeant. Et peut-être aussi, un peu excitant.

— Il est doux, lançai-je, comme pour la défier une nouvelle fois.

— Doux, répéta-t-elle. Aussi doux que cela ?

L’inconnue étendit son bras et vint, de sa main, frôler ma joue. Je tentai de contenir le frisson que son geste provoquait en moi. D’autant qu’elle venait de dégrafer un bouton de mon corsage, laissant apparaître un morceau du tissu blanc et brodé de mon soutien-gorge.

Mais je mis un point d’honneur à ne pas m’en offusquer. La défiant d’aller plus loin.

— Et quoi d’autre ? s’enquit-elle.

Je cherchais mes mots. Tiraillée entre me taire, envoyer promener l’indiscrète ou jouer son jeu en la provoquant moi-même.

— Vous posez toujours ce genre de question aux gens que vous rencontrez le soir dans les bars ?

— Parfois, oui. Parfois, non. Mais vous, j’ai tout de suite eu envie d’en savoir plus. De découvrir ce qui vous liait à cet homme. Et ce qui vous excitait, aussi. Par exemple, je suis certaine que c’est vous qui avez fait le premier pas. Je me trompe ?

Je me mordis les lèvres. Consciente que cette fois, si je répondais, si je continuais cette conversation, je risquai d’en perdre le contrôle. Mais sûrement que l’alcool ingurgité ce soir abattait, les unes après les autres, les barrières de ma timidité et de ma pudeur. Et puis, sans comprendre, sans savoir pourquoi, je voulais lui montrer que je n’avais pas peur de me dévoiler.

— Non, vous ne vous trompez pas. Un jour que nous étions seul, au bureau, après avoir travaillé presque toute une nuit sur un dossier, je l’ai embrassé.

— J’en étais sûre, s’exclama-t-elle d’une voix enjouée. Et que s’est-il passé ? Comment a-t-il réagi ?

J’hésitai à aller plus loin dans mes confidences.

— Vous allez écrire ça dans votre prochain livre ? D’abord, vous écrivez sur quoi ?

— Pour l’instant ? Je cherche un sujet… Et je me demande si je ne l’ai pas trouvé, fit-elle en me fixant avec attention. Allez, continuer. Comment notre David a-t-il réagi ce soir là ?

— Comme un homme. Il a bandé comme un malade sans se poser de question.

— Et vous ?

— Moi ?

J’étais au bord du précipice. Je me resservis un verre de vodka que j’avalai d’un trait. Sans quitter la jeune femme qui désormais se tenait tout près de moi. Je pouvais sentir son souffle et l’odeur suave de son parfum. Je la trouvais belle et cette beauté me troublait plus qu’elle n’aurait du. Je pensais à David. A son sexe érigé qu’il avait sorti de son pantalon juste après notre premier baiser et dont il avait commencé à jouer tout en me regardant. Comme s’il attendait que je m’exécute, en bon petit soldat.

— Il m’a embrassée en me prenant le visage et en me regardant tendrement.

En fait, il s’était masturbé en haletant. Avant de caresser mes seins avec maladresse. Je n’avais pas su quoi dire, quoi faire. Puis il m’avait pénétré avant de jouir presque aussitôt. Tout en s’excusant. Comme un petit garçon pris en faute. Il m’avait alors attendri et j’avais oublié cette première fois décevante. Nous avions entamé notre relation, sans que je ne me questionne plus sur lui. Sur nous. C’est vrai. Il était gentil.

L’inconnue me regardait, jaugeant sans doute de la véracité de mon histoire. J’avais l’impression qu’elle voyait en moi et comprenait que je ne lui racontai pas l’exacte vérité.

Le regard bleu acier qu’elle me jetait me fit frissonner.

Je me mis à trembler.

— Tu as froid ? Tu veux que je ferme la fenêtre ?

— Non… Ce n’est rien. Mais je n’ai pas envie de parler de ça.

Son tutoiement m’avait à peine surprise. Elle continua de plus belle.

— Et moi je crois le contraire. Je crois que tu meurs d’envie d’en discuter. Que cela t’étouffe. Et qu’au fond de toi, tu joues à être gaie alors que tu es profondément triste.

— Qu’est-ce que vous en avez à faire de ma tristesse ? En quoi cela vous regarde-t-il ? Vous aussi vous allez vous en abreuver ! C’est ça qui vous attire ? Le chagrin des autres ? C’est ça, vous, qui vous fait jouir ?

L’inconnue ne souriait plus. Le visage grave. Je voulais qu’elle parte. Qu’elle me laisse. L’alcool me rendait agressive. J’avais envie d’être méchante. Je me resservis un verre.

— Je n’ai pas de conseil à te donner, mais tu devrais arrêter de boire.

— Effectivement, vous n’avez aucun conseil à me donner. Et si je veux boire encore, je bois !

L’inconnue leva les mains au ciel, comme pour se rendre. Quant à moi, plus rien ne pouvait m’arrêter.

— Vous questionnez toujours les gens pour remplir vos bouquins de leur vie merdique ? C’est ça votre truc à vous ? C’est ça qui vous excite ? Vous n’êtes pas une anthropophage, non. Vous ramassez la merde pour la coller dans vos livres. Vous ne vous êtes jamais dit que ce que vous prenez aux autres pour mettre dans vos livres, ça les laisse bancal ? Allez ! Foutez le camp de chez moi ! Laissez-moi tranquille. Je vous ai assez vue.

L’inconnue semblait figée par ma subite colère. Ne s’y attendant pas. Tout comme moi. Je n’en revenais pas de cette rage enfouie qui venait d’exploser d’un coup. Comme un torrent de lave trop longtemps contenu.

Elle ne répondit rien. Se leva pour se diriger vers la porte. Juste avant de l’ouvrir, elle se retourna.

— Je suis désolée…

Mais je ne lui laissai pas le temps d’en dire plus. Je me précipitai vers elle pour coller mes lèvres contre les siennes, l’embrassant avec un désespoir que je ne me connaissais pas. Elle prit mon visage entre ses mains puis l’éloigna avec douceur, ses yeux bleus intenses plantés dans les miens. De plus en plus grave.

— Non. C’est moi qui suis désolée.

Et elle m’embrassa. Comme jamais on ne m’avait embrassée. Mêlant son souffle au mien. Sa langue cherchant la mienne, glissant autour d’elle en une délicate caresse. Cette nuit ne devait ressembler à aucune autre. Comme une catharsis.

Jamais je n’avais ressenti cette soif, ce désir, cette brûlure dans l’attente de l’autre. Sans plus de mots, nous avions rejoint ma chambre et nous nous étions écroulées sur le lit, toujours enlacées. Sans nous lâcher.

Les mains de l’inconnue sur moi étaient tortures et douceurs. Jamais mes seins n’avaient ressenti à ce point cette tension. La dureté de ses tétons. Le plaisir puissant lorsque l’inconnue les mordillait. Les léchait. Cambrée, avide, je me donnais à ses caresses, mon entrejambe noyé d’un désir fulgurant. Mes cuisses écartées alors que son visage glissait sur mon ventre. Que ses lèvres embrasaient ma peau.

Jamais une telle jouissance ne m'avait à ce point inondée lorsque l’inconnue glissa enfin sa langue sur mes lèvres intimes, gonflées, lèvres que je lui offris en me cambrant de plus belle. L’implorant, pour, que du bout de ses doigts, elle caresse encore et encore le bout de mes mamelons douloureux de plaisirs.

Je jouis une fois. Deux fois. Toute la nuit. Réclamant encore et encore ses caresses, sa peau, ses baisers, sa propre jouissance.

Lorsque je me réveillais, l’aube pointait à peine. J’étais comme abasourdie. Vide et pleine à la fois. A côté de moi, le lit était désert. L’inconnue était partie. Disparue. Je me remémorai notre dernier échange, quand je lui avais demandé si elle allait écrire ce qui venait de se passer entre nous. Elle m’avait alors susurrés ces mots à mon oreille, éveillant aussitôt en moi un feu de désirs.

— Je n’aurais jamais le talent de décrire, d’exprimer tout ce que j’ai ressenti avec toi cette nuit. Tout ne s’écrit pas, tu sais. Il y a des histoires qui ne vous appartiennent pas. C’est à toi de mettre tes propres mots sur ce que tu ressens.

Il me semblait avoir entendu le bruit de ses pas décroitre dans l’escalier avant de me souvenir que non, elle ne m’avait toujours pas dit comment elle s’appelait.

Dans ma chambre aux draps froissés au creux de mon lit encore chaud, je m'étais blottis pour y retrouver son odeur et le souvenir de nos caresses et de nos désirs brûlants. Ma main sur mon sein. Puis glissant entre mes cuisses. Fermant les yeux pour mieux retrouver son image. Pour imaginer l’écrivaine sur moi. En moi. Celle à qui j’avais fait perdre ses mots. Je me caressais longuement, doucement en invoquant ce souvenir.

Comme dans un rêve.

 

Le lendemain, je rejoignis le bureau où m’attendait David qui jeta un rapide regard vers moi.

— T’as une sale tronche, toi. Mal dormi ?

— Pas exactement.

­— Tiens au fait, tu as oublié ça au bar hier soir. C'est une nana qui l'a ramassé. Tu sais que n’importe qui d'autre aurait pu te le voler ?

Dans un geste rapide, David me tendit un objet.

Mon porte-carte.

Je restai interdite. Sans rien comprendre.

— Elle ne l’a pas gardé ?

David releva sa tête, l’air interloqué.

— Ben non. Puisque je viens de te dire qu’elle me l’a donné à moi.

— Et elle est repartie tout de suite après ? C'est ça, non ?

— La fille ? Non. Elle a rejoint un groupe d’amis. Elle était encore là-bas quand on est parti. Bon c’est pas le tout mais, c’est toujours d’accord pour le déjeuner chez mes parents ce dimanche ? Il faut absolument qu’on choisisse les desserts pour la cérémonie de mariage. Il paraît que ce traiteur a d’excellents gâteaux au…

Le restant de sa phrase se perdit dans les limbes de mon cerveau alors qu’un voile se déchirait et que je regardais avec stupéfaction, entre mes mains, le porte-carte que David venait de me remettre.

Je compris alors qu’une fraction de seconde, un regard à peine échangé, d’un bleu profond, intense, avait suffi pour que je trouve les réponses à des questions que je n’avais peut-être même pas conscience de me poser.

Lorsque je revins le soir, chez moi, j’eus, à regret, la confirmation de ce que je redoutais. Sur la table basse, deux verres de vodka étaient posés.

L’un était vide. L’autre encore plein.

Je m’assis sur le canapé avec quelques feuilles et un crayon. Pour y écrire le début de mon histoire.

« Mon cher David, ne m’en veux pas pour les mots que tu vas lire mais… »

 

 

 

 

 

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