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Pourquoi il faut dormir la nuit

Pourquoi il faut dormir la nuit

Ainsi donc, je suis « old fashion » ? Ou plutôt, tel que vous m’avez traitée « complètement ringarde, démodée, anachronique » ? Votre aveu spontané fut accompagné d’un grand éclat de rires dont vous êtes si friande. Vous me regardiez, les larmes aux yeux, le corps plié en deux, à bout de souffle presque. Et la raison de votre moqueuse hilarité était encore plus étonnante que votre saillie. Vous veniez ainsi de pointer ma démarche. Au propre. Pas au figuré. En effet, vous trouviez que je marchais trop vite. Que cela ne se faisait plus et que donc, j’avais l’air plutôt ridicule d’aller d’un aussi bon pas.

Ne vous inquiétez pas. Je ne m’en suis pas offusquée. Je vous ai même démontré, alors que nous remontions l’une des allées de ma demeure, celle qui longe un si beau canal, que si j'avais l'air de courir, c’est qu’en fait je volais. J’ai en effet cette particularité de pouvoir léviter entre deux pas, ce qui prolonge d’autant ma foulée.

Encore une fois, votre délicieux fou-rire en réponse à ma confidence fut accueilli avec bienveillance de ma part. Il faut dire que nous passions un merveilleux week-end. J’avais convié de nombreux amis à quelques festivités et, en cette fin d’après-midi, nous profitions du soleil et de la beauté du paysage. Je dois bien vous avouer qu’habiter le Château de Versailles octroie quelques privilèges. Le choix de promenades est immense et le cadre procure un agréable contexte aux divertissements.

Juste avant votre taquinerie sur ma démarche, nous avions justement découvert un petit théâtre ouvert sur l'un de ses côtés, un lieu d’agrément construit sur les hauteurs de la rive et surplombant le canal. Une sorte de refuge magique et très ancien que je ne connaissais pas encore. Sans doute à cause de l'immensité du parc qui ne m’avait pas encore révélé toutes ses richesses. Nous en avions rapidement fait le tour et nous étions extasiées sur les poutres en bois massif, très anciennes, chacune reposant en saillie sur des corbeaux ouvragés de la meilleure facture. Un jardinier qui s’affairait non loin de là et tentait de récupérer un objet insolite non définissable coincé dans un arbre (un jouet semblait-il) profita de ma venue pour me demander ce qu’il devait faire de cet espace. J‘envisageai de le rénover, trouvant le cadre fort romantique. Vous-même approuviez ce choix. La vue que nous avions sur le canal était grandiose. J’imaginais aussitôt transformer l’endroit en une terrasse couverte et cosy afin d’y servir quelques cocktails propices à célébrer la fin de journée. En d’autres termes, y servir l’apéritif.

Mais nous n’en fîmes rien.

Mon amie d’enfance se trouvant par voie extraordinaire déjà installée sous ce préau soudain délabré nous fit alors remarquer que nous nous trouvions dos au soleil. Celui-ci resplendissait sur l’autre rive du canal. Notre côté étant déjà plongé dans l’ombre. Force fut de reconnaître que nous perdions ainsi l’intérêt d’investir ce lieu à une telle heure. Et qu'il y avait fort à parier qu’une température trop fraiche ne troublât nos libations vespérales. Mais j’hésitais encore. Partagée entre une prosaïque réalité et l’envie de vous épater. J’aurais tant voulu vous faire plaisir. Et ne pas céder à la mine renfrognée du jardinier qui s’impatientait de mes atermoiements face à une telle ruine. D’autant que je le reconnus aussitôt comme étant cet artisan qui avait été incapable, lors d’un précédent chantier, de passer un câble électrique dans une simple gaine. L’homme, toujours impuissant à récupérer le jouet dans l’arbre n’en était donc pas à son premier échec.

Mais vous vous montrâtes magnanime. Je crois que c’est ce que j’aimais en vous. Cette faculté de ne jamais prendre au sérieux ces petites contrariétés domestiques. Vous m’éleviez toujours au plus haut de moi. D’où sans doute ma frustration persistante de ne pas réussir à vous convaincre que j’étais aussi capable de voler dans les airs. Même si je savais au fond de moi que l’élévation que vous attendiez de moi était plus spirituelle que physique.

Alors qu’un pigeon dodu chassait une pie jacassante, je suivis votre regard qui détaillait le plafond dans ce qui n’était plus, faute d’intérêt, qu’une simple cabane en bois. Qui s’avéra être en plastique. Grâce à vous, je découvrais le pot-aux-roses. Et ordonnais aussitôt qu’on détruise ce lieu si factice. Mais sur votre conseil, épargnais les colonnes et la structure qui redevinrent au second regard d’un chêne massif et ancestral. Qui avait donc eu l’idée saugrenue de recouvrir tout cela d’une décoration plastifiée reproduisant des briques rouges enchâssées dans un mortier blanc ? L'effet était des plus moche et d’un anachronisme total.

Mais revenons à notre promenade.

Je n’avais toujours pas réussi à vous convaincre que je pouvais voler. J’en étais fort marie car d’habitude, c’est un jeu d’enfant pour moi. Il me suffit de faire un pas ou deux, lever les pieds, et ainsi survoler plusieurs mètres sans toucher le sol. Pourquoi n’y arrivais-je pas devant vous ? Après mûres réflexions, et quelques tentatives désastreuses où, faute de m’élever dans les airs, je trébuchais lamentablement devant vous, je mis cette impossibilité au fait que je dormais. J’avais enfin compris le pourquoi de mon tourment. Si j’avais été éveillée, j’aurais sans aucune difficulté pu vous convaincre en effectuant devant vous mes lévitations.

Déçue et dans l’incapacité de me réveiller faute de vous perdre, je profitai en silence de cette marche auprès de vous. Chance pour moi, vous ne vous moquiez plus. M'enveloppant d'une mansuétude étonnée alors que vous veniez de vous apercevoir que mes pieds ne touchaient plus terre. Je ne m’étais pas rendue compte que, sans le vouloir, en n'y pensant plus, je sautillais d’un pas de biche aérien tout autour de vous.

Sans doute l’aurez-vous compris. Tout ceci n’est qu’un rêve. Celui que je fis cette nuit et dans lequel vous teniez l’un des rôles principaux.

Pour ne pas dire le meilleur.

En dehors de mon amie d’enfance et de l’artisan maladroit, nous aperçûmes l’un de vos amis qui profitait des attractions ludiques que j’avais mise à la disposition de mes invités. Grand, maigre, un joint calé entre les lèvres, il semblait s’amuser comme un enfant, accroché au cou d’une girafe qui venait de quitter précipitamment son manège, sans doute pour aller brouter les herbes fraiches qui poussaient au bord du canal. Et elle n’était pas la seule. Tout un zoo l’avait rejointe. Et je trouvais formidable que les hippopotames à bec de canard s’y sentent autant à leur aise. Il faut dire que le jardin ressemblait à une immense fête foraine et je me réjouissais de pouvoir ainsi divertir mes amis même si je m’agaçais de la présence de visiteurs importuns qui lézardaient sous un soleil de plomb. Mais comment pouvais-je empêcher le Château de Versailles d’être visité par des hordes de touristes ?

C’est là que tout avait basculé.

Alors que je vous guidais depuis le début de cette séance, nos rôles s’inversèrent.

Sans doute pour me sortir de ma réflexion désappointée de voir autant de gens parcourir les jardins que j’eusse préféré vous réserver, à vous seule, et peut-être aussi pour vous faire pardonner votre attitude taquine, vous m’aviez alors saisi la main. Elle était chaude et fraiche à la fois. Impérieuse. Sans être dominante. Vous m’avez attirée face à vous. Nous rapprochant l’une de l’autre. Si près que vous aviez pu poser délicatement votre front contre le le mien. Me gardant ainsi tournée vers vous sans plus un mot, nous abstrayant de notre environnement. Ce fut un moment très doux. Émotionnel. Sensuel. Qui semblât durer longtemps. Comme si tout s’était figé autour de nous. Comme si plus rien n’existait. Seul restait un poème de Victor Hugo qui trottinait dans ma tête « La source tombait du rocher ». L’histoire d’une goutte d’eau, seule, face à l’océan. Quelques vers retenus de mes cours au lycée. Souvenir contre lequel je m'arc-boutais afin de ne pas glisser vers une autre histoire. Je voulais tant rester près de vous. Aussi décidai-je que ce poème avait été diffusé par les hauts parleurs disséminés dans le parc et qui, maintenant, passait une chanson interprétée par Gérard Lenorman « Kiss me, as you love me… », un vieux succès volé à C.Jérôme. Je me promis d’en informer le DJ qui officiait pour tout le week-end. Sans doute l'étourdi avait-il interverti les jaquettes des vinyles. Mais peu importait pour l’heure. Même si tout ces pensées faisaient juste trop de bruits dans ce moment si précieux.

Car j’avais une vraie préoccupation.

Nos visages si proches, nos lèvres ne se trouvaient plus qu’à quelques centimètres seulement. Je pouvais en avoir le goût et la fièvre. Sans même les toucher. Je puis vous assurer que, malgré un sommeil profond, j’en ressentis tous les délices. Vos cheveux, qu’un vent mutin ébouriffait, caressaient mon visage. La foule avait, par bonheur, désertée les allées et les barques, sur le canal, s’étaient elles aussi vidées. Même les animaux s’étaient tus. Votre étreinte, seule, existait. Que n’eussé-je donné, juste à cet instant, de quitter mon endormissement pour vivre tout ceci en plein éveil. Alors que je ressentais au creux de mon ventre exploser les foudres du désir. Découvrant, que, sans même un baiser ni l’ébauche de la moindre caresse, un corps pouvait jouir d’un autre. Si fort et si intensément.

Cet acmé si bouleversant fut malheureusement interrompu par le rire de votre ami surgissant d’un stand de « chamboule-tout » et qui nous conviait à le rejoindre afin d’y massacrer des conserves de petits poix, toutes à l’effigie des futurs prétendants à l’élection présidentielle.

Remontant brutalement des abysses de délices dans lesquelles vous m’aviez plongée, je conçus une vive irritation contre les facéties de nos rêves capables de nous projeter des plus parfaites émotions et vives sensations au plus brutal des cauchemars. Tout reprit sa course. Je ne volais plus. Vous n'étiez plus dans mes bras. On ne remonte pas le cours d'un songe à sa guise, surtout en été, me murmura d'une voix lasse, Shakespeare, dont la présence incongrue me fit presque perdre le fil de mon histoire. Je chassais l'importun, le renvoyant vers les sphères où j'avais déjà enseveli le dramaturge Hugo. Priant qu'aucune musique ne vienne remplacer leur brouhahas littéraires. Je voulais vous garder près de moi. Juste à moi. Pour moi. Peut-être dormais-je. Peut-être n'avais-je aucun pouvoir. Mais mon inconscient se battait encore pour vous garder. Encore un peu. Prête à poursuivre ce rêve qui m'avait conduit dans vos bras. Ne me demandez ce que j’en espérais. Le trouble occasionné par votre étreinte si pleine de promesses m’ayant fait perdre toute logique. Si tant est qu'un rêve puisse en produire.

Mais malgré mes prières, nos cieux s’obscurcissaient. sans que je ne comprenne si la violente dispute qui venait d'éclater entre Victor Hugo et son homologue britannique en était la cause. Et de sombres nuées nous aspirèrent toutes deux dans un trou noir.

Sans transition, nous fûmes parachutées dans un long couloir de marbre et de pierres polies par l’usure. Tout était gris sauf les portes vitrées peintes en bleu. Un joli bleu. Mais vous n'étiez plus proche de moi. A peine pouvais-je discerner vos traits. Je sentais confusément que j’allais vous perdre. Je n'avais pour autre solution, pour grappiller encore un peu de ces heures lascives auprès de vous, que de résoudre le problème qui vous tracassait. Votre incapacité à rejoindre l’étage où se trouvait votre chambre. Car si, en tant que maîtresse des lieux, j’avais le privilège d’un rez-de-chaussée ouvert sur le jardin, vous-même étiez logée au quatrième étage. Ce qui n’aurait eu aucun impact si, par une aberration totale, vous n’aviez pas été interdite d’ascenseur. J’en étais toute contrite. Ne volant pas assez haut pour vous y transporter dans mes bras.

Peut-être eussé-je du penser à vous guider vers les escaliers ?

Mais en de telles circonstances oniriques, les évidences sont souvent malmenées. D'autant que je n’eus malheureusement pas le temps d’y réfléchir plus longuement. Voyez-vous, et m’en pardonnez, un réveil intempestif m’en empêcha.

J’ouvris un œil sur cette défaite. Pourtant encore ravie de votre présence tout au long de ma nuit. Je vous avoue que cela n’est pas la première fois. Déjà par le passé vous ai-je tenue serrée contre moi. Et parfois, avons-nous vécues cette ivresse que la pudeur, dans ce monde aveugle aux lumières fastueuses de nos illusions, ne me permet, ici et maintenant, de vous raconter.

Peut-être une autre fois ?

Je souhaite néanmoins que malgré mon départ précipité, vous avez su retrouver le chemin de votre lit et profiter, malgré mon absence, de l’enchantement de ces confins irréels et de leurs extases chimériques. Et finir, tout comme moi, par laisser libre court à vos propres fantasmes.

Je n'ai pas d'autre vœu. Juste une dernière question : Tout au long de ces pensées oniriques, vous ai-je tutoyée ou bien vouvoyée ?

Vous seule le savez.

 

La source tombait du rocher
La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L'océan, fatal au nocher,
Lui dit : - Que me veux-tu, pleureuse ?

Je suis la tempête et l'effroi ;
Je finis où le ciel commence.
Est-ce que j'ai besoin de toi,
Petite, moi qui suis l'immense ?

La source dit au gouffre amer :
- je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, ô vaste mer !
Une goutte d'eau qu'on peut boire.
 
Victor Hugo
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M. T.

Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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