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Encore un autre rêve

Encore un autre rêve

Lune me demande si je rêve encore. Quelle drôle de question. Que cherche-t-elle à savoir ? Nous ne nous sommes pas vues depuis si longtemps que son intérêt pour mes nuits me paraît déplacé. Mais pas pour elle. Je le ressens aussitôt. Non. Cette question lui brûlait les lèves. Et j’aurais du m’y attendre.

Nous nous sommes retrouvées dans ce café que nous fréquentions quelques années auparavant. Un café sans ambition, sans style particulier. Sans spécialité aucune. Banal café de quartier que la patronne à la gouaille populaire nous avait rendu sympathique. Elle nous a accueillies avec la joie pour ceux qu’on retrouve après un long voyage. Mais aussi avec le reproche pour ceux qui ont trop tardé. « J’ai déménagé » lui ai-je annoncée. Sans autre détail. Sans explication. Me refusant, pour l’heure, à décrire ce que je vivais et que je n’avais annoncé à personne. Pas même à Lune. Que j’appelai ainsi malgré ses réticences. Ce n’était pas son vrai prénom mais son visage lumineux et sa peau si blanche avaient toujours éveillé en moi cette image d’un astre accroché à la nuit.

Lune avait commandé, comme à son habitude, une théière de thé vert. Moi, un simple café. Noir. Sans sucre. La boisson de ceux qui ne veulent pas s’éterniser. Nous avions échangées quelques banalités : le travail, la famille, les projets puis, très viyte, Lune s’était lassée de mes réponses. Je le sentais à sa manière qu’elle avait de bouger sur sa chaise. De regarder ailleurs. De suivre l’avancée d’un passant dans la rue. Le service en salle. Un client qui s’installe. Pourtant, c’était elle qui m’avait appelée. Après tout ce temps sans nous voir, j’avais reçu son message. J’avais hésité. Me demandant pourquoi, soudain, elle désirait me joindre. Alors que nous avions perdu l’habitude d’échanger. Depuis qu’elle s’était mise en couple. Avec un homme. Me surprenant quand je m’y attendais le moins. Alors que je venais de lui exprimer le désir que j’avais d’elle. Et qu’elle y avait répondu avec une fièvre qui nous avait surprise l’une et l’autre. Puis chacune avait alors repris sa route. Jusqu’à cet appel. Son appel. Et son empressement à me voir, lorsque j’avais fini par lui répondre que j’acceptais.

Je n’avais pas osé lui demander où elle en était de sa relation. Qu’elle ait rompu avec cet homme ne m’aurait pas plus soulagé que de savoir qu’elle vivait toujours avec. En fait, je ne savais plus, pas quoi penser. Alors, comme à chaque en pareil cas, je noyais la conversation d’anecdotes futiles, mon métier dans le monde du showbiz m’offrant de multiples récits pour amuser mon auditoire.

Mais d’habitude plus réceptive, cette fois, je l’avais trouvée renfermée, presque inquiète, indifférente à ma dernière rencontre avec ce chanteur en vogue aux caprices surprenants.

Puis, comme si elle n’y tenait plus, elle m’avait posée cette question : Rêves-tu encore ? Le regard fiévreux tendu vers moi. En attente de ma réaction.

— Comment peux-tu me demander ça après tout ce temps ?

— Je sais. Je suis désolée. Mais j’ai besoin de savoir.

— Il faut que je te rappelle que nous ne sommes plus ensemble ? Tu as oublié que tu m’as quittée, c’est ça ? ironisai-je.

— Non. Bien sûr que non. Mais cela fait des semaines que j’y pense et que j’ai envie… de savoir si tu rêves encore… Tu me trouves minable, c’est ça ?

Je pris quelques secondes avant de répondre. La fixant avec attention. Comprenant que ce qu’elle attendait de moi n’était pas un jeu mais une vraie demande. Que je ne comprenais pas.

— Lune ? Je peux te poser une question ?

— Bien sûr.

— Ton chéri t’a plaquée ?

— Non.

— Alors explique-moi pourquoi tu veux connaître mes… nouveaux rêves…

— Parce qu’ils me manquent. Parce que je n’arrive pas à m’en passer.

— Tu n’es pas bien avec « chéri » ? Il ne te satisfait pas ?

— Ça n’a rien à voir.  Mais j’ai besoin de tes rêves. Encore un peu.

A nouveau je me tus, tentant de comprendre ce qui se jouait pour Lune. Et pour moi aussi. Car cette demande n’avait rien d’anodine. Parce que mes « rêves », ceux que j’avais bien voulu lui raconter, toujours portaient sur le désir, l’envie du corps de l’autre, de sa jouissance. Après notre première rencontre, nous avions pris cette routine de ces récits qui nous excitaient, l’une et l’autre, et que parfois, même à distance, arrivaient à nous faire jouir.

Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi voulait-elle entendre à nouveau ce que mon imagination, parfois, nous donnait à frémir. A jouir.

Je crus pouvoir éviter l’écueil. Trouver la porte de sortie.

— Tu sais très bien que je ne peux pas te raconter mes « rêves » ici. Dans ce bar. Avec tout ce monde autour de nous. C’est impossible.

— Je sais. C’est pour quoi j’ai réservé notre chambre. Elle nous attend.

Je la fixai, éberluée par son aveu.

— Tu as fait quoi ? Lune ! Tu ne peux pas…

Elle me coupa aussitôt.

— Viens.

Une injonction qui me pénétra brutalement.

 

Quelques minutes plus tard, nous franchissions la porte de la chambre 222, celle avec la porte rouge, qui avait abrité plusieurs de nos rencontres.

Elle s’allongea confortablement sur le lit. Je m’installai dans le profond fauteuil qui lui faisait face. Encore rétive à cette demande aberrante. Inappropriée. Inconvenante.

Stimulante. Excitante.

Je pris une profonde inspiration avant de commencer.

« Tu sais, j’ai souvent rêvé que je revenais ici, dans cette chambre. Que je me glissais dans ce lit, dans ces draps où nous avions faits l’amour, toi et moi. Oui, j’ai souvent rêvé à ça. Souvent et de plus en plus. Je rêvais que j’allais chercher la clé à la réception. Que je montais l’escalier sans prendre l’ascenseur pour le plaisir de laisser grandir en moi l’excitation que procure l’attente. J’ai rêvé que je glissai la clé, doucement, dans la serrure. Puis que je la tournais, sans faire de bruit, sans à coup avant de pénétrer dans la chambre. Là où nous avions joui. Où tu m’avais attendue. Où je t’avais cherchée. »

Lune ne disait mot. A peine bougeait-elle. J’entendais son souffle, annonciateur de son désir. De son envie. D’une main, elle remonta sa robe estivale, légère et soyeuse. De l’autre, en dégrafa le haut. Se mettant à son aise. Repoussant du pied la couverture pour reposer sur le drap frais. Ses cuisses s’écartant avec lenteur. La main qui avait repoussé la robe reposant désormais sur le tissu qui cachait son entrejambe. Je la vis alors commencer un subtil va-et-vient, quelques caresses circulaires, les prémisses de son plaisir.

— Et de quoi as-tu encore rêvé ? soupira-t-elle.

Je pris mon temps. Désireuse de la faire attendre. Et de la surprendre.

« J’ai rêvé que j’entrais dans cette chambre. Qu’il y faisait sombre. Que les rideaux avaient été tirés. Qu’une ombre bougeait sur ce lit, à peine, comme quelqu’un qui dort. Et rêve. Et qui n’entends pas mon arrivée.  J’ai rêvé que je me déshabillais pour te rejoindre dans ce demi-sommeil. Je savais que tu étais réveillée. Que tu m’attendais. Sans bouger. Je me suis glissée sous les draps. J’étais nue. Venant vers toi. Je t’ai prise dans mes bras. Et je t’ai embrassée. »

Lune soupira à nouveau. Sa main se glissant cette fois sous le tissu de son sous-vêtement.

« Sauf qu’à ce baiser, j’avais reconnue aussitôt que celle que je tenais dans mes bras n’était pas toi. »

Lune arrêta ses caresses, surprise par la tournure de mon « rêve ».

— Ce n’était pas moi ?

« Non. C’était une autre. Une étrangère. Une inconnue que je surpris dans son sommeil. Et qui me regardait, partagée entre la peur et la douceur du baiser que je venais de lui donner. »

— Elle ne s’est pas enfuie ?

« Non. Elle est restée là, à me regarder. Puis à me sourire. Comprenant que je n’étais pas un danger pour elle. S’écartant juste un peu de moi après une brève hésitation.

    — Vous vous êtes trompée de chambre, je crois, s'amusa-t-elle.

    — En êtes-vous si sûre ?

    — Je ne vous attendais pas.

    — Moi non plus.

    — C’est que je suis nue…

    — Moi aussi.

    — Donc ni vous ni moi n’allons sortir de ce lit ?

    — Qu’en pensez-vous ?

    — Je pense que nous pouvons prendre le temps d’y réfléchir. Non ?

Nous nous sommes tues. Avant qu’un fou-rire ne nous prenne ensemble. »

Lune, désarçonnée par mon récit, me regardait sans savoir quelle attitude adopter.

— Tu n’as jamais rêvé de quelqu’un d’autre.

— Qu’en sais-tu ?

— Ça t’est déjà arrivé ?

— Quelques fois, oui.

— Mais tu ne m’en as jamais rien dit.

— Pourquoi l’aurais-je fait ? Le principal est que tu aimes mon rêve, non ?

— Mais si tu ne penses pas à moi ?

— Si je ne pense pas à toi, c’est qu’une autre me trouble. Et si cette autre me trouble, pourquoi ne pas en profiter un peu ? Et prendre ce qu’elle peut me donner dans la force d’un rêve. Comme toi tu prends de mes propres rêves. Comme celle à qui je rêve en jouit aussi.

— Continue, s’il te plait.

Lune, une main sur sa poitrine, ferma les yeux. Dans l’attente de mon récit. Je souris à l’idée de la faire jouir en lui parlant d’une autre. A mon tour, je fermai les yeux.

« L’inconnue ne bougeait toujours pas. Je sentais son parfum. L’odeur délicate que dégageait sa peau, ses cheveux. Elle s’étira.

    — Je vous empêche de dormir… m’excusai-je.

    — Ça tombe bien. Je n’ai plus sommeil, me répondit-elle, tournant la tête vers moi.

Tout sourire. Lascive.

    — Et vous ? Vous avez sommeil ?

Je compris son message. Je ne répondis pas. J’étais entrée dans cette chambre. La chambre à la porte rouge. Où parfois elle se trouvait. Où parfois j’étais seule. Où j’avais joui de l’attendre. Où j’avais laissé, en empreinte, l’histoire de son absence.

Cette fois. Elle était là. Étrangère, inconnue. Mais vivante. Alors je ne perdis pas plus de temps. Je l’embrassai. L’enlaçai. Couvrant aussitôt son corps de mes caresses. De mes baisers. De ma langue. Caressant ses seins. Baisant sa bouche. Mes doigts glissant sur son ventre tendu vers l’antre de son mystère. Cette parcelle qui s’ouvrait à moi. Douce. Mouillée. Prête au désir. A m’engloutir. Je rêvais que je la faisais jouir, et elle jouissait entre mes doigts, sur ma langue, sous mes caresses. Pour la première fois. Pour la énième fois. Tant qu’elle penserait à moi et qu’elle se souviendrait du désir qu’elle m’aura inspiré. Oui, j’ai rêvé d’elle. Dans ce lit. Dans cette chambre. Dans mes bras. Cambrée par son plaisir. Ses cuisses offertes, avides de ma bouche. Dans son désir. Dans ses cris. Dans ces soupirs. J’ai rêvé que je la faisais mienne. »

J’ouvris les yeux. Lune haletait, concentrée sur ses propres caresses. Son ventre qui se tend. Ses doigts qui la fouillent. Elle aussi devait rêver alors. Et je voyais s’exprimer toute la force de son excitation, de son envie, de son plaisir fulgurant.

Sans bruit, je me levai.

Avant de refermer derrière moi la porte rouge sur ses soupirs. Et rejoindre celle qui, par l'inattendu, depuis partageait ma vie. Le rêve à ce genre de facétie. Que parfois il se prend les pieds dans le réel. C'était mon secret. Et il le restera tant que tout le monde y croira.

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