Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
3 Mai 2011
Elle entre. Lumière faible, centrée autour de ses cernes, nez aquilin, cheveux décoiffés, relevés, tentative de maîtrise avortée, chemisier entrouvert, poitrine dénudée, souple, profonde… une bougie… puis une autre… et encore une autre… un de La Tour se profile, là, juste en face de moi, de l’autre côté de la rue, derrière une fenêtre laissée ouverte… oubliée ? Immeuble qui me fait face, juste séparé par l’étroitesse d’un trottoir, chaussée, trottoir… silence. Plus de passage. Pas de passant. Moment pour moi. Instant pour elle. Qui ne fermera pas sa fenêtre. Son rideau est pourpre. Je le sais. Il est toujours tiré, fenêtre alors occultée, silhouette esquissée, parfois, illusions, ombres chinoises. Soupçons, peut-être désirs, tentations. Lorsque j’étais aveugle.
Elle chante. Voix basse comme la lueur des bougies, répétition, incantation, douceur imprégnée de vapeurs, eau qui s’écoule, bain. Le chemisier glisse sur ses reins, flotte un instant puis se love au sol, petit animal doux et chaud, déjà endormi, qu’elle enjambe. Un cri, un appel, dans la rue, plus bas, sursaut. Mon souffle s’accélère, prise en faute, je recule, me cache, main sur le cordon du store, petite corde à laquelle je m’accroche, que j’enroule autour de mes doigts, tremblements… je ne baisserai pas les lamelles. Je la regarde, elle. Je n’y échapperai pas. Comme si tout mon corps soudain paralysé m’imposait sa vision. Je n’y peux rien. Je ne peux y résister. Cela se passe malgré moi. Je la regarde, elle. Je ne peux y résister. Je ne lui résisterai pas.
Elle se penche. Courbe de son dos, main qui danse, doigts qui jouent de l’eau, un brouillard l’entoure mais ne la masque pas, voile transparent comme celui des vierges, des mariées et des mortes ophéliennes. Elle entre dans l’eau, un pied, une jambe, son autre pied, son autre jambe, debout, moment d’attente pour s’habituer à cette chaleur qui l’envahit. Elle inspire, profondément et attend encore un peu. A ma fenêtre, dans cette pièce sans lumière, protégée de son propre regard, cachée, honteuse, je l’admire. Ma main a depuis abandonné le fin cordon et, un à un, ouvre mes boutons. J’inspire, retient mon souffle. Si la mort me surprenait, alors elle me pardonnerait. J’attends. Il n’y a plus de bruit, plus de mouvement, juste elle, là, en face, à portée de mon regard indécent. Je l’avoue. Je la veux.
Elle glisse. Peu à peu, jambes fléchies, elle pénètre dans son bain comme on s'endort dans un lit, dans l'espoir des rêves. Elle sourit légèrement, l’eau qui la brûle certainement. Ses cuisses se recouvrent, se cachent, blancheur soyeuse d’une légère mousse. J’attends, palpitante que son triangle de velours, à son tour, frémisse sous la morsure de cette caresse aquatique. Elle s’arrête à peine, ses mains de chaque côté de la baignoire, enserrant juste un peu plus fort les parois de porcelaine, son corps plongeant lentement, comme un sucre qui fond. Je n’ai plus de vêtement et si j’ai froid, c’est bien fait pour moi. Elle au chaud, moi qui frissonne. Nos deux corps en opposition, l’un devant l’autre, cachés mais en accord, je l’espère, si elle savait. Mais elle ne sait pas. Je ne dis rien et fixe son ventre suivant sa douce courbe, ma main posée sur mes formes, chair de poule, sans plus d’air, musicienne essoufflée par le jeu de cette symphonie unique.
Elle s’étend. Entière, tête en arrière, ferme les yeux, sourit encore, tout bas, juste pour moi. C’est ce que je crois. Alors je lui rends son sourire et à l’unisson, mes seins durs rejoignent ces îles que j’aperçois, dressés au milieu de leur Pacifique. Sa bouche entrouverte semble vouloir me parler. Elle soupire. Je voudrais lui répondre. Mais que dire à celle dont je ne peux dévoiler ma présence sans risquer de la faire fuir. Je ne le supporterai pas. Pas maintenant. Trop tard. Que les dieux me foudroient. Je resterai là. Je voudrais juste connaître la couleur de ses yeux. Je les sens noirs, profonds, obscurs, insondables, brûlant eux aussi. Je la veux. De plus en plus.
Elle appelle. Elle appelle son plaisir. Je le sais, je le sens, sa tête se tournant comme pour mieux trouver son chant. Son épaule imperceptiblement, donnant le rythme, écho qui longe le bras et retentit dans le creux de sa main, main entre ses jambes, jambes qui s’écartent, reins qui se tendent, seins qui m’emportent, bouche qui s’entrouvre, ma langue qui la cherche, sa caresse qui la presse, mon plaisir qui s’en mêle, mes jambes de coton et son sourire, toujours ce sourire qui me suit, me poursuit, m’empoisonne. J’aime ce qu’elle fait, pour elle. J’aime ce qu’elle fait, pour moi. Pour notre plaisir, là. Pour ce qu’elle prend. Pour ce qu’elle donne. Pour ce que je lui vole. Pour ce qu’elle prend. Pour ce qu’elle donne. Pour ce que je lui vole. Nos musiques ont les mêmes notes et se répètent à l’infini.
Après, bien après, elle éteindra une à une les bougies.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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