Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
24 Juin 2011
Je ne m’habituerai jamais à cette présence et pourtant, elle est bien là, assise, le corps en arrière, à côté de moi, calée dans ce fauteuil club, doux et rond, couleur havane. Je la regarde. Elle aussi, comme moi, tape sur son clavier, fervente, concentrée, sa bouche exprimant de temps à autre un soupir ou une grimace selon la difficulté du problème à résoudre. Je ne sais pas combien de temps a pu passer depuis que je la regarde… une heure ?.. une journée ?... une partie de ma vie ? des mois sans doute, mais combien exactement ? Je ne m’habituerai jamais à cette présence.
Je ne m’habituerai jamais à ses soupirs, d’amour ou de souffrance, selon que les alizés soufflent réguliers ou s’affolent, s’élevant brusquement en altitude, invincibles invisibles, pour alors inverser leur course. Car lorsqu’elle me regarde, elle sourit. Toujours. Où s’inquiète. Aussitôt. Si ses grands yeux bruns, profonds, si profonds, intenses, si intenses, captaient alors dans mon regard une obscurité même passagère. Alors elle me le demande « fais moi le plus beau des sourires ». Me l’implore. Alors je le lui offre même si parfois il reste en moi. Je sais qu’elle le voit. Elle le souligne d’un rire. Je ne m’habituerai jamais à ses soupirs.
Je ne m’habituerai jamais à ses mots, ses discours, sa parole farandole qui jaillit après ses silences, source ayant enfin trouvé sa lumière, pointant hors de sa terre, s’écoulant avec force, rapidité, débit incroyable puis soudain douceur, presque lenteur comme la rivière se love dans le fleuve, comme le fleuve s’ouvre et pénètre le lac, là où tout se calme, s’alanguit, presque s’arrête. Puis reprend, soudain, calme savamment trompeur, lorsqu’une chute soudain en cascades vivaces reprend son flot et l’emporte encore plus loin, sans doute vers la mer, là d’où elle vient. Je ne m’habituerai jamais à tous ses mots.
Je ne m’habituerai jamais à son pas, lorsqu’il s’étend, se fait nerveux ou dansant, parfois lourd d’une humeur triste ou si léger lorsqu’elle ne veut pas corrompre mon sommeil. Elle s’éloigne alors et les lames du parquet se taisent, s’assouplissent, à peine chuchotent. Dans les rues, elle marche vite lorsqu’elle va seule. Presque elle courre. Vers quel destin ? quelle affaire si pressante doit se demander le passant surpris de cette longue silhouette furtive. Dans les rues, elle marche lentement lorsque sa main, attachée à la mienne, m’accompagne, donnant le rythme nonchalant à nos promenades sillonnées de baisers. Je ne m’habituerai jamais à son pas.
Non.
Je ne voudrais pas de cette habitude là
Jamais
Mais plutôt de l'émerveillement
Répété
D'être en vie
Avec elle.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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