Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
13 Octobre 2011
Je marche depuis si peu de temps… redressée, debout, enfin arrivée. T’en souviens-tu ? Cette Septième Vague qui m’avait emportée si loin, si loin de ce qu’était ma vie d’alors, mes chemins balisés, mes lumières fixes pourtant vacillantes, mes pénombres étranges, mes oublis, mon oubli. J’ai plongé. T’en souviens-tu ? Sans regret, yeux grands ouverts mais pas sans peur. Du haut de cette falaise au loin de laquelle j’avais bâti ma demeure, lourde bâtisse de pierres des champs mais dos à l’océan, mon erreur, regard détourné de l’horizon, mains repoussant le vent, à la butée de ce vide appréhendé où je m’étais endormie, comme engloutie.
J’ai plongé. T’en souviens-tu ? Le corps cintré dans cet uniforme qui faisait alors ma fierté pour en avoir moi-même tissé le drap, fil après fil, patiemment, non pas sans larmes, mais parce qu’il ne pouvait plus en être autrement, comme lorsque l’on meurt, mais sans gravité, pour une heure ou pour l’éternité. J’ai dérivé des nuits entières. T’en souviens-tu ? Parce que dans l’océan, rien ne reste derrière soi pour se retrouver. Parce qu’il faut du temps pour comprendre que les anciennes balises, unes à une, sont éteintes, petits cailloux au fond des chemins arpentés tant de fois que la terre en étant devenue boue les a recouverts. J’ai glissé. T’en souviens-tu ? Pour avoir voulu continuer, malgré tout, à croire que je ferais revenir le soleil là où l’on m’imposait la nuit. Pour avoir préféré le chant de la vie tout en craignant l'absence.
J’ai dérivé. T’en souviens-tu ? Si longtemps. Pour avoir suivi le lent mouvement de la vague sans en appréhender le courant. Pour avoir cru que je reviendrai sur la grève, pieds au sec devant la splendeur, en apesanteur, sans penser, jamais, couler. Je me suis noyée. T’en souviens-tu ? Le jour avait passé son tour, je suis tombée, là, enfouie dans ma douleur, l’esprit immergé de l’alcool avalé, à la hâte, dans ma course à l’ivresse, pour ne plus entendre l’ennemi cri de celui qui trahit. Je croyais pouvoir nager, toujours… que j’en avais oublié la fatigue de ce chagrin accumulé qui sourdement me hantait. J’ai entendu tirer. T’en souviens-tu ? Au creux de cette nuit là même, dans ma tourmente, sans comprendre, le coup est parti, sec, clair. Un seul coup porté et la blessure, immédiate et si douloureuse que le regret surgit aussitôt de ne pas en mourir.
J’ai entendu tirer. T’en souviens-tu ? Et j’ai fermé les yeux. Pour ne plus rien voir, ni entendre. Pour ne pas comprendre que la mort est inscrite dans l’amour et que l’oubli en est la plus douce des issues. Pour ne plus avoir à me battre. Parce qu’il faisait trop noir, encore. J’ai glissé de tes bras. T’en souviens-tu ? Et je me suis crue perdue…
Pourtant, regarde, mon Bel Amer, comme la vague toujours renvoie à la terre ceux qui se couchent dans son lit. Pourtant, regarde, mon Bel Amer, comme elle dessine dans le sable la suite de cette histoire…
Aube. De l'Est à notre Ouest, le noir cède au bleu, ciel ivre du cercle rouge d’un soleil qui se lève, dédoublé, comme si Poséidon se refusait à naître, renvoyant entre la mer et le ciel, le soin de porter son image. Aube… T’en souviendras-tu ? C’est à ce moment là que mon corps, dans la plus grande des douceurs océanes, fut déposé sur la grève, la vague se retirant enfin, sans jamais se lasser de son voyage. C’est à ce moment là que je me suis redressée, titubante de l’empreinte de la houle, voilée de lumière, séchée peu à peu d’un souffle venu de la Terre, doux et chaud, à l’odeur de bruyères, de roses poivrées et d’impatientes légendaires. Je me suis relevée. T’en souviendras-tu ? Et j’ai retrouvé le chemin, celui des douaniers, que j’avais, comme un présage, emprunté bien avant, il y a de longs mois, le temps d’une éternité.
Je me suis relevée. T’en souviendras-tu ? Et tout s’est révélé à moi, comme un dessein que l’on comprend enfin, la volonté sourde de nos destins : Le phare, juste devant, encore brûlant de sa fièvre nocturne, là où tu étais, là ou tu as toujours été, porteur alors d’une ombre bienveillante n’indiquant plus la route mais l’arrivée comme une évidence. J’ai marché, pieds nus dans le sable, le dos bien droit, les traits apaisés accueillant ce grand jour. Je t’ai souri. T’en souviendras-tu ? Et j’ai retrouvé ta main, celle-là même qui, je le sais, taisait mes angoisses et chassait mes peurs, du temps où je dérivais, du temps où j’avais oublié, tout simplement, que jamais, toi, tu ne m’abandonnerais.
Je t’ai souri. T’en souviendras-tu ? Et toujours te sourirai, dans cette confiance retrouvée, revenue de si loin que je la pensais perdue à jamais ; que j’en refusais mes certitudes ; que j’en effaçais tout futur. Et ta main dans la mienne, je suis repartie, ivre de vie, et d’amour, et d’après, et d’ailleurs. Comprenant… comprenant que ton vaisseau est large, sa quille profonde, et sa voilure ample dans laquelle s’engouffre le vent et que c’est lui, que c’est toi qui m’a portée pendant tout ce périple, sans jamais rien en dire, sans jamais rien en demander, sans jamais oublier que je t’aimais. Tu es mon amer. T'en souviendras-tu ?
Tu es mon amer. T’en souviendras-tu ?...
Amer : n. m, objet fixe sur la côte qui sert de repère.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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