Ne me demandez pas pourquoi j’avais accepté cette excursion stupide, mais, croyez-moi, à l’heure qu’il était, accrochée comme un vieux linge à ce piton rocheux, les mains crispées sur les mousquetons, un pied maladroitement calé dans une faille et l’autre, moulinant, patinant, cherchant désespérément un appui stable, je sentais bien que je perdais beaucoup de ma superbe. J’étais bloquée dans ce passage somme toute pas si difficile mais où, perdant tous mes moyens, je me tétanisais un peu plus à chaque seconde, pendant qu’au-dessus de ma tête fusaient les encouragements ironiques et que derrière moi, on me demandait de bien vouloir gentiment dégager le passage au plus vite.
Cela faisait à peine trois heures que nous avions quitté le petit village d’Oustarki, départ de la randonnée et je n’en pouvais déjà plus. Pourtant, au tout début, j’avais trouvé cela plutôt agréable. Nous avions suivi un sentier sinueux, ombragé par de hauts hêtres sylvestres qui avaient peu à peu laissé place aux pins, dont certains se dressaient à plus de 50 mètres de haut et dont le couvert odorant ménageait un espace d’ombre et de silence. Enfin, quand je parle de silence, celui qu’on peut moyennement trouver au milieu d’un groupe de 15 personnes dont la moitié parle une langue que vous ne comprenez absolument pas, le russe, mais dont la particularité est apparemment de devoir être prononcée en hurlant. J’avais fait contre mauvaise fortune bon cœur, moi qui préfère, et de loin, marcher seule, l’esprit vagabond dans cette sensation subtile que procurent au corps, les muscles ainsi échauffés par le rythme de la marche. Je marchais un peu en retrait, profitant de la vue superbe sur la chaîne montagneuse et la vallée, oubliant presque les réticences que j’avais eu avant d’accepter de participer à cette sortie et tentait de profiter au mieux de ce qui m’apparaissait finalement comme une ballade bucolique et vivifiante. Malheureusement pour moi, le profit fut de courte durée.
Les choses, pour moi, s’étaient gâtées à la première difficulté, un passage escarpé qui nécessitait, sur une bonne vingtaine de mètres, de se hisser à la force des bras et des jambes. Notre guide nous avait bien prévenu : la randonnée était ouverte à tous mais des rudiments d’escalades et une bonne forme physique étaient conseillés. Pour l’heure, je n’avais pas vraiment ni l’une, ni l’autre de ses qualités. J’étais arrivée la veille de Paris, juste après un travail de fou qui m’avait laissée exsangue et totalement abrutie. J’étais en miettes et la soirée arrosée que nous avions passé la veille au soir n’avait rien arrangée à la situation. Quant à mes connaissances de marche en montagne, elle se résumait à quelques vagues souvenirs glanés au fil de documentaires diffusés tard dans la nuit. J’avais bien sûr lu, gamine, « Premier de Cordée » de Frison Roche, mais n’en gardait qu’un souvenir mitigé sur les joies de l’alpinisme. Et puis pour tout vous dire, je ne suis pas ce qu’on appelle une « sportive » de haut niveau et mon activité favorite, lorsque je suis à la montagne se résume dans la dégustation d’un bon vin chaud.
Comment m’étais-je donc retrouvée embringuée dans cette randonnée, avec une gueule de bois terrible et des pieds massacrés par des chaussures un poil trop petites à cause des énormes chaussettes dont on m’avait affublée ? Pourquoi suivais-je ce groupe bruyant moi qui, sans être solitaire, aime une certaine solitude ? Ho, facile cherchez la femme…
Il y a quelques semaines de cela, j’avais eu un coup de cœur pour une charmante franco-américaine que mon éditeur m’avait présentée en vue de m’aider à traduire un de mes ouvrages précédents. Nous avions travaillé ensemble une quinzaine de jours. Elle était charmante, fraîche, pétillante, et sa parfaite maîtrise des deux langues faisait d’elle une compagne de travail idéale. La traduction avait été un véritable bonheur d’autant que le thème de cet ouvrage sur lequel nous étions penchées, des nouvelles érotiques lesbiennes, donnait à nos conversations et nos échanges un goût très particulier, une résonance troublante, un discours ambigu et parfois même assez excitant. Enfin, pour moi. Je l’avais invitée plusieurs fois à boire un verre ou à dîner. A chaque fois, elle avait accepté avec enthousiasme et nous avions ainsi passé de longues soirées à parfaire le rapprochement entre la France et les Etats-Unis, mais sans que rien, jamais, ni un geste, encore moins un baiser ne soit échangé. C’est un problème d’éducation, chez moi qui me bloque bien souvent dans mes élans. On m’a appris à ne rien demander, ne rien réclamer alors évidemment, je fais rarement le premier pas. Et pour être honnête, l’idée du refus me tétanise..
Mais là, je sentais bien que quelque chose allait se passer. Elle m’avait fait cette proposition de l’accompagner pour ce séjour dans les Pyrénées et, sans réfléchir aux conséquences directes que cela allait impliquer pour moi, notamment de pouvoir suivre un groupe de randonneurs aguerris, j’avais dit oui avec enthousiasme. Je nous avais alors imaginées, toutes les deux, lovées dans un canapé au coin d’une cheminée au feu crépitant, dégustant une somptueuse bouteille à la couleur rubis, et nous abandonnant alors aux caresses langoureuses et aux doux baisers . Je sais, cela fait assez « chabadabada… » mais la délicieuse plastique de mon avenante traductrice m’inspirait le plus profond des romantismes.
Malheureusement, dès mon arrivée, les choses ne s’étaient pas exactement passées comme je l’espérais. Contrairement à mon attente de partager une chambre avec mon attractive Cindy, tel était le prénom de ma tentatrice, je m’étais retrouvée dans ce qu’on pourrait bien appeler un dortoir où je découvris, à ma grande stupeur, six lits collés les uns aux autres. Mais Cindy me rassura, nous ne serions que quatre. Quant à elle, elle avait réussi à obtenir l’unique single de l’hôtel prétextant qu’elle dormait très mal avec d’autres personnes autour d’elle. J’avais envie de lui faire remarquer que dormir en groupe n’était pas non plus forcément ma tasse de thé mais n’en fit rien, pour ne pas la gêner, où la mettre mal à l’aise. Je me retrouvais donc à faire connaissance avec un Marcel, sa femme Huguette et Didier, charmant trentenaire qui avait passé ses premières minutes dans la chambre dortoir à nous édicter ses règles d’hygiène et avait d’autorité établi un planning précis pour l’occupation de la salle de bain, commune et dans le couloir, comme il se doit. J’avais eu alors une violente envie de rebrousser chemin et regagner mes pénates, mon lit, ma douche, mais l’idée de passer la soirée avec ma Cindy fit pencher la balance vers « Allez, je reste et je prend sur moi ». Et puis, j’espérais sans doute qu’au gré d’une charmante soirée, me lançant un regard langoureux et lourd de signification, mon experte en langues m’ouvrirait la porte de sa chambre confortable et me laisserait me glisser contre elle, sous la lourde couette qui couvrirait nos ébats.
C’est donc mue d’un stoïcisme incroyable que je passais le repas, coincée entre Marcel et Huguette qui passèrent leur temps à se chamailler tout en me prenant à témoin. J’avais alors beaucoup bu espérant ainsi trouver un quelconque soulagement dans une certaine ivresse, tentant désespérément d’attirer l’attention de Cindy, pour l’heure, très absorbée par sa conversation avec un certain Francis, superbe spécimen pyrénéen, tout en muscles, le visage cuivré par le soleil sauf deux halots blancs qui entouraient les yeux, typique du bronzage lunettes Courchevel. Cindy ne quittait pas des yeux l’athlète et ne prêtait aucune attention à mes tentatives de m’immiscer dans leur conversation. Il faut dire que je n’avais pas eu de chance et, qu’étant bonne dernière sur la liste de notre ultra organisé colocataire Didier, j’avais eu l’usage de la salle de bain en dernière position. J’étais donc arrivée après tout le monde à table et avais ainsi écopé, loin de ma tendre, de la place stratégique entre une Huguette déchaînée et un Marcel remonté.
Profitant d’une accalmie due à un étranglement de Marcel pour avoir avalé trop vite une portion du dessert, je me levais et me positionnais près de la cheminée, malheureusement éteinte. J’étais fatiguée, un peu triste, un peu saoule aussi peut-être, et regrettais presque d’avoir accepté l’invitation de Cindy qui ne m’avait quasiment pas adressée la parole de la soirée.
Je décidais de regagner le dortoir sans plus attendre, bouleversant ainsi le planning du dit Didier qui m’avait placé en 3ème position pour le brossage des dents. Je lançais un bonsoir à la cantonade et quittais les lieux sans attirer pour autant l’attention de qui que ce soit.
Mais alors que j’arrivais légèrement essoufflée au deuxième étage, l’hôtel n’ayant pas d’ascenseur, c’est normal, à la montagne, on monte à pied, je fus rejointe, à ma grande surprise par ma lâcheuse Cindy qui s’inquiétait de mon départ.
- Tu t’en vas déjà ?
(Mon dieu qu’elle était belle…)
- oui, je suis fatiguée…
(J’avais envie de la serrer dans mes bras)
- moi aussi, je crois que je vais aller me coucher
(Mon moment divin était-il enfin arrivé ?)
Mais l’arrivée du Francis, dodelinant sur ses pieds, l’air embarrassé mais passablement émoustillé, me donna ma réponse. Cindy lui lança un regard gourmand, avant de se retourner vers moi.
- Tu le trouves comment ?
- Comme un vrai montagnard…
En fait le vrai mot auquel je pensais, s’il se terminait lui aussi par « …ard » m’aurait obligée à devenir vulgaire ce qui n’est pas l’image que j’aime donner de moi, même si, de temps à autre, la tentation est forte d’employer ce genre de vocabulaire. Mais ma Cindy fit la moue.
- Je crois qu’il se fait des idées… je ne sais pas comment je vais pouvoir m’en débarrasser.
- Tu veux que je reste avec toi ?!
L’empressement avec lequel je venais de lui faire cette proposition était peut-être légèrement excessif pour un simple service à rendre mais je ne voulais absolument pas rater cette perche que venait de me tendre ma Cindy. Je l‘accompagnais donc jusqu’à sa chambre sous le regard surpris et vitreux du Francis qui ne semblait pas comprendre qu’il venait de perdre la main.
Cindy ouvrit sa porte et s’engouffra dans sa chambre, me laissant ainsi seule sur le palier avec Francis qui, ne comprenant toujours pas la situation, voulut nous emboîter le pas. Je dus alors me montrer ferme mais non sans une certaine délicatesse, le bougre n’avait pas l’air si mauvais que ça et lui lança sans attendre un « bonsoir Francis » sonore et franc mais sans appel. Je pénétrais à mon tour dans la chambre de la belle et refermais aussitôt la porte derrière moi.
- Il était vraiment collant, celui-là… soupira Cindy qui commençait à se déshabiller sous mes yeux ahuris.
J’avais envie de lui répondre que le fait de lui avoir laissé sa main à pétrir pendant une bonne heure y était sans doute pour quelque chose mais je retins mon ironique remarque, stupéfaite de la voir ainsi, sans autre pudeur se mettre nue devant moi.
- je suis crevée, moi, pas toi ?
Sûrement, mais j’étais surtout, à cette seconde près, en passe de succomber à la tentation de poser mes mains sur les seins qu’elle agitait ainsi devant moi. Je n’aurai sans doute pas du réfléchir aussi longtemps car elle enfila aussitôt un long tee-shirt qui me cacha aussi net sa nudité.
- Ca va ta chambre ? ils sont sympas, non, les Richer ?
- Qui ?
- Marcel et Huguette. Je t’ai vue toute la soirée parler avec eux. Tu sais que ce sont des pros de la montagne. Tu vas voir demain, on va pas les tenir.
Et bien, s’ils mettaient autant d’énergie à grimper qu’à se disputer, effectivement, la randonnée s’annonçait sportive.
- Tu peux éteindre en partant, s’il te plaît ?
Le bâillement de Cindy m’y fin à mes rêveries et me fit comprendre, à mon tour, qu’il était temps pour moi de prendre congé.
Quelques minutes plus tard je me glissais dans ma chambre-dortoir où de sérieux ronflements m’accueillir. Je me couchais, amère, sachant que la promiscuité ferait, que ce soir là, malgré mon excitation, je ne pourrais rien pour moi.
Autant vous dire que le lendemain matin, après avoir passé une nuit quasiment blanche à me retourner dans un lit trop étroit, toutes les trente secondes étant ponctuées d’un apnée de mon voisin, je m’étais levée légèrement maussade.
Cindy m’avait à nouveau à peine adressé la parole et nous étions rapidement partis, dès l’aube, en compagnie de notre guide à qui personne n’avait eu l’idée de me présenter. Je commençais la randonnée d’une humeur exécrable, mais, comme je vous l’ai déjà dit, la beauté des paysages, la splendeur du panorama fit que, peu à peu, je me détendis alors que mes muscles, mis à mal par ma nuit agitée, s’échauffaient et m’apportaient le bien-être de leur endomorphine ainsi libérée.
Un autre groupe, des russes, s’était donc joint au nôtre. Il y avait quatre hommes et deux femmes. Je les avais remarqués la veille au soir à l’hôtel alors que les hommes descendaient sans respirer plusieurs bouteilles de vodka. Comment pouvaient-ils être en forme aujourd’hui ?… Tout le monde avançait d’un pas décidé et plus nous montions, plus les difficultés,pour moi, croissaient. Des éboulis me faisaient constamment perdre l’équilibre et je commençais à avoir de sérieux doutes quant à ma capacité de suivre le rythme. L’une des russes vint alors vers moi et bien aimablement me tendit son bâton de marche.
- Doskonovnia lupia, insistait-elle.
Autant vous dire que je ne comprenais pas un traître mot que je vous abandonne là en pure phonétique. Elle prit alors ma main,et d’autorité y plaça son bâton. Je voulus refuser mais cette aide, je m’en rendis compte aussitôt m’était d’une grand utilité pour tenir mon équilibre. Je la remerciais d’un geste de la tête. Quant à Cindy, elle était loin devant, semblant franchir tous les obstacles avec une facilité déconcertante.
L’aide du bâton providentiel me permit, bon an, mal an, de suivre le groupe mais je compris très rapidement, en arrivant devant la paroi quasi verticale que nous devions escalader, que mes problèmes étaient loin d’être terminés.
C’est ainsi que vous me découvrîtes, au début de mon récit, haletante, coincée, figée, crispée, sans pouvoir plus, ni avancer, ni reculer.
- Mettez votre pied à droite, vous avez un appui un peu plus haut ! aidez-vous avec vos bras ! vous y êtes presque ! Non ! Plus à droite ! dépêchez-vous s’il vous plaît ! on a encore un beau morceau devant nous !
J’avais envie d’hurler que je faisais ce que je pouvais, que j’avais mal à la tête, que j’étais limite vertige et que les muscles de mes bras n’étaient plus que douleurs et que si tout le monde continuait à me prodiguer mille ordres contradictoires, j’allais tout lâcher et me faire redescendre par l’hélicoptère de secours.
Une forme agile me dépassa alors sur ma gauche. C’était ma donneuse de bâton. Je ne pourrais vous dire comment elle arriva à monter aussi vite et avec autant d’agilité, mais il me semblait qu’elle employait la même technique que l’araignée, avec trois bras en moins. Elle se plaça un peu au dessus de moi puis me regarda attentivement et avec beaucoup de calme.
Ce qu’elle me dit était toujours aussi totalement incompréhensible, mais sûrement mue par un instinct de survie, il me semblait que je devinais le sens de chacune de ses paroles. Ses gestes et l’application de son regard m’indiquaient exactement ce que je devais faire. Ses yeux plantés dans les miens comme deux véritables pitons, elle commença à monter doucement, guidant mes mains, mes pieds, me forçant à trouver en moi l’énergie nécessaire pour atteindre le haut du mur. Il était temps, je n’en pouvais plus. Je voulus la remercier mais elle rejoignit son groupe aussitôt qui semblait prendre lui bien du plaisir à ma déconfiture.
Evidemment, tout le monde était fin près à repartir. Je cherchais Cindy du regard. Elle riait des bonnes blagues de notre intarissable Marcel sans prêter aucune attention à ma détresse. Mais comment ces gens là ne pouvaient-ils pas être totalement épuisés ? Etais-je donc la seule dans cet état ? Personne n’aurait-il donc pitié de moi ? Alors que j’étais au bord des larmes, Cindy, enfin, vint vers moi.
- Ben dis donc ! j’ai cru que tu allais rester bloquée ! ça va ?
Elle avait l’air sincèrement préoccupée et sa sollicitude me toucha en plein cœur. Je ravalais mes larmes pour lui sortir le plus beau de mes sourires.
- Oh, oui, ça va, super ! Mais tu sais, ça fait longtemps que je n’ai crapahuté comme ça alors, faut que la machine se remette en route !
Parfois, je me bafferai. Je ne peux jamais, au grand jamais, m’empêcher de jouer les dures à cuir, les sans peur et les sans reproche. J’en fus donc pour mes frais, car ainsi rassurée, Cindy tourna les talons pour rejoindre notre guide qui visiblement, ne pouvait pas mettre un pied devant l’autre sans sa présence.
Le groupe s’ébranla avec à sa tête mon américaine, souple, tonique, pleine d’entrain, souriante. Il faut dire qu’elle ne passait pas inaperçue et j’avais bien remarqué que tous les hommes présents ne pouvaient s’empêcher, dans les montées, de lorgner ses fesses rebondies et fermes. Elle le savait et elle en jouait, minaudant, se baissant plus que nécessaire, poussant des petits cris lorsque son pied gracile glissait légèrement. Tout le monde était autour d’elle et cela visiblement lui plaisait. En fait, je découvrais peu à peu la personnalité profonde de ma traductrice préférée qui ne semblait autant radieuse que lorsqu’elle était sûre d’être le centre d’attraction. Je supputais alors que l’intérêt que j’avais pu lui porter, l’avait en fait surtout flattée plus qu’excitée.
Au bord de ma détresse, je ressentis une solitude immense et accablée.
- dosdovnia, dosdovnia !
Ma sauveuse s’adressait à nouveau à moi. Je compris qu’elle me conseillait de manger les fruits secs qu’elle me tendait. Je l’en remerciais et ingurgitais mécaniquement amandes, noisettes et autres raisins de Corinthe. Je bus une grande gorgée d’eau dans la gourde qu’elle me présenta et cela me requinqua Je me levais alors, bien décidée à montrer au groupe et surtout à Cindy ce dont j’étais capable.
Je remontais un à un les participants pour me mettre au niveau de celle qui m’avait lâchement abandonnée dans ce terrible moment de solitude. Elle m’accueillit d’un large sourire qui me désarçonna.
- ça à l’air d’aller mieux ! c’est génial, non ?
Oui, c’était génial… j’avais les pieds en sang, des courbatures tout le long du corps et un mal de tête affreux qui ne passait décidément pas. J’aurai voulu le lui dire mais malgré mon découragement, une parcelle encore vivace d’orgueil annihilait toute velléité de sincérité.
- on redescend quand ?
- je ne sais pas, on ne devrait pas tarder, je pense.
Pourvu qu’elle dise vrai ! je rêvais d’une douche, longue et brûlante, et après ce don inégalable de moi-même, ce soir, j’étais bien décidée, quoi qu’il arrive, à m’imposer chez la belle et lui dévoiler le fond de ma pensée.
- Thierry ! c’est encore loin ?
Thierry le guide regardait les sommets avec la mine du pro qui ne dit rien mais qui c’est tout et que cela ne va pas être drôle. Effectivement, sa réponse fut à la hauteur de ma supputation.
- le temps change ! on ne pourra pas redescendre tout de suite. Il va falloir se mettre à l’abri pour quelques heures.
Pardon ? avais-je vraiment bien entendu le verdict qui venait de tomber ? Non, parce que si c’état une blague, elle était loin d’être hilarante et il était, pour ma part, hors de question, d’attendre des cieux plus cléments pour rejoindre mon lit, et au mieux, celui de Cindy.
- Regardez les nuages là-bas, ils viennent droit vers nous. Dans deux heures il fera totalement nuit. On a pris du retard, on a été trop lents. On n’aura pas le temps de redescendre.
Là, je ne sais pourquoi, mais je sentis plusieurs paires d’yeux se diriger vers moi dans un signe d’opprobre et de reproche. Je voulais bien reconnaître que je n’avais pas été des plus rapides, mais, une excursion ouverte à tout le monde, c’est une excursion ouverte à tout le monde ! lors de mon inscription, personne ne m’avait demandé mes certificats de l’ascension de l’Annapurna.
- il y a un refuge à 500 mètres, au Nord, on va aller s’y abriter.
Cela ne semblait, à part moi, ne contrarier personne et la petite troupe s’ébranla en direction du refuge. Cindy, bien sur, arriva la première, en sautillant de joie bien que je ne vis pas la drôlerie du moment. En fait, je crois bien qu’elle commençait à m’agacer.
- c’est mortel, Thierry ! ça me fait kiffer grave !
Oui, moi aussi Thierry, je kiffe,grave mais pour ce qui s’agit du mortel, c’est toi qui est en danger si tu ne me redescend pas immédiatement ! pensais-je alors avec toute la puissance de son subconscient.
Un coup de tonnerre violent m’indiqua que notre guide n’en ferait rien et qu’il était temps de courir s’abriter.
Le gîte était d’un seul tenant avec des paillasses en guise de lit. Heureusement, j’en comptais une bonne vingtaine. Il y avait donc largement de la place pour tout le monde. Je cherchais des yeux Didier prête à lui foncer dessus si celui-ci commençait à exprimer la moindre velléité d’organisation. Mais ce dernier semblait trop absorbé par l’étude des matelas pour être dangereux avant un moment.
Je rejoignis donc, une nouvelle fois, Cindy pour la supplier, d’un air las, d’avoir l’extrême gentillesse de se mettre à côté de moi et de ne pas me laisser toute seule. J’en fus une dernière fois pour mes frais l’entendant chaleureusement remercier notre guide et l’un des russes qui lui parlait deux, trois mots de français et qui venaient spontanément de lui proposer de l’encadrer autour de sa couche afin de la rassurer dans le noir.
Mes chances auprès de la jeune femme étaient bel et bien épuisées.
J’en fus bien sûr attristée, surtout amère et presque en colère mais surtout contre moi-même, de m’être laissée une nouvelle fois aller à ce penchant idiot de toujours croire, que persévérance et gentillesse vous ouvrent toujours les portes du paradis.
Je m’installais donc aussi loin que possible, à l’opposé du groupe, sur le dernier lit, contre le mur. Je posais mon sac et m’assis lourdement. Cette virée tournait au cauchemar et j’en avais plus qu’assez. Malheureusement, dehors, le tonnerre et la pluie me signifièrent une dernière fois qu’il me faudrait encore supporter tout cela pendant quelques heures supplémentaires.
La jeune femme russe vint alors vers moi. J’avais envie d’être seule et sa présence m’agaçait. Qu’on me laisse donc tranquille ! et puis de toute façon, je ne comprenais rien à ce qu’elle me baragouinait. Elle me montra alors le mur et fit un geste de grelotter. Oui et bien si elle voulait ma place pour ne pas avoir froid, elle se fourrait le doigt dans l’œil. Je n’avais plus une once de flexibilité et lui décochais alors mon regard le plus noir avant de lui tourner le dos.
Le groupe se coucha assez rapidement, tout le monde étant finalement assez fatigué et chacun se réservant pour la descente du lendemain dont le départ nous avait été annoncé pour 4 heures du matin. Bien vite, il n’y eu plus de lumière et les ronflements remplacèrent peu à peu les conversations. Je n’avais même pas dit bonsoir à Cindy, trop occupée à installer les duvets de ses chevaliers servants.
Mais je ne trouvais pas le sommeil. J’entendais, les soupirs, les toux, les craquements et le vent, dehors. Et puis je grelottais. Je claquais presque des dents en me recroquevillant sur moi-même. J’avais compris que j’avais choisi la pire des places, contre le mur glacial qui laissait passer une multitudes de courants d’air. Ma gentille russe que j’avais méchamment rembarrée n’était donc venue vers moi que pour m’en prévenir. Pourquoi n’avais-je pas compris sa recommandation ?
Bon sang, mais qu’étais-je donc venue faire dans cette galère ?….
Un mouvement imperceptible se fit à côté de moi. Une ombre s’approchait, sans bruit. Mon cœur se mit à palpiter. J’avais bien compris, cette fois-ci, que Cindy ne me rejoindrait jamais et qu’il ne me fallait pas attendre le moindre geste de compassion de sa part. Alors qui se dirigeait-il vers moi à pas feutrés ?! J’étais prête à crier lorsque je reconnus la voix de ma sauveuse.
- Dosvski ?
Ou quelque chose se rapprochant. Sans autre parole, elles étaient des plus inutiles, la jeune femme étendit à mes côtés un duvet, épais et très certainement des plus chauds et me fit signe de rentrer dedans. Ma russe était décidément douée d’une sollicitude et d’une attention pour moi sans égal. Sans hésiter, ma combativité m’ayant définitivement lâchée, je ne demandais pas un reste que j’aurais, de toute façon, bien été incapable de lui traduire, et me faufilais sans plus attendre et totalement congelée à l’intérieur du duvet providentiel.
La seule chose que je n’avais pas compris et que je pouvais difficilement voire vu l’obscurité régnante, était qu’elle-même se trouvait déjà dans le duvet. Je dois dire que de rencontrer ainsi, sans m’y attendre, ce corps chaud et doux, me rendit toute chose. Je m’installais au plus vite cherchant à occuper le moins d’espace possible. Nous avions néanmoins suffisamment de place, l’une et l’autre, le duvet devant être double, pour être à notre aise. Pourtant je n’osais faire un geste et restait sans bouger de peur de la frôler
Mais j’avais eu tellement froid que, malgré mes diverses tentatives pour me contrôler, je ne cessais de trembler.
C’est elle qui vint vers moi. Elle m’entoura de ses bras et, doucement mais avec une certaine fermeté, me caressa le dos comme pour me réchauffer. Elle commença alors à me parler. Ne me demandez pas, je ne compris rien, bien sûr, mais sa voix, si étrange, berçante, me fit un bien fou. Je me détendais peu à peu et sentais chaque parcelle de mon corps se relâcher peu à peu pendant que la chaleur revenait à moi. J’étais bien, j’étais au chaud et je laissais cette voix rassurante me pénétrer peu à peu. Les gestes de ma compagne d’infortune se firent alors encore plus doux. Elle caressa longuement mes cheveux, ne s’arrêtant jamais de murmurer pendant qu’elle glissait une des ses jambes entre les miennes.
J’en conçus un vif plaisir et frissonnai à nouveau, non plus de froid, mais de désir. La jeune femme se saisit alors de mes mains qu’elle porta vers son visage, sa bouche, pour de son souffle chaud dégourdir mes doigts glacés. De frôler ses lèvres me procura une violente envie d’elle mais une question, malgré tout, me taraudait et me retenait.
Comprenais-je bien la sollicitude attentive de ma russe ou celle-ci était-elle en train m’indiquer le chemin de son corps ? Sa voix, à la fois sensuelle et maternelle, ne m’était d’aucun secours et le sens des mots qu’elle prononçait m’échappait à tout jamais. Je flottais, enivrée de sa chaleur, perdue dans ses caresses, sans oser le moindre geste, bercée de son récit improbable.
Lorsque je me réveillais, il faisait encore nuit. Tout le monde ou presque était debout. Je sursautais et regardais aussitôt à mes côtés. J’étais seule dans le duvet. Je me levais, cherchant du regard ma tendre conteuse. Elle avait rejoint son groupe et discutait calmement avec eux.
Nous redescendîmes beaucoup plus rapidement que je ne l’avais prévu et de retrouver le petit village et ses rues vivantes me rendit aussitôt toute mon énergie. Deux heures après, nous étions tous à la gare pour ne pas rater le seul et unique train de la journée. Je déclinais sans grand considération l’offre de Cindy de l’accompagner vers Saint Jean de Luz et la laissant, un peu surprise, sur le quai, j’allais me chercher un café au distributeur de la gare.
Ma russe s’y trouvait et mon cœur se mit à battre fort. Elle me regarda arriver en me souriant et alors que j’étais dans l’impossibilité de lui dire quoi que ce soit, elle déposa un baiser léger sur ma joue, prononça un seul mot, puis s’éclipsa.
L’un des russes passant à mes côtés, l’un des rares à avoir quelques rudiments de français, je lui demandai alors ce que ce mot voulait dire. Il réfléchit puis me sortit, content de lui et de la maîtrise de son vocabulaire :
- Ca, ça veut dire, je crois : dommage ?…