Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
20 Octobre 2016
Juste le galbe de son sein. De quoi alerter la pudeur, émouvoir le désir, appeler de mes vœux le courant d’air frileux qui en durcirait la pointe. Frissons. Depuis plusieurs minutes, à la dérobée, malgré moi, mon regard ne peut quitter l’aval de cette rondeur subtile et douce. Au moindre de ses mouvements, le décolleté de son chemisier volage et lâche me ferme ou m’ouvre à ce tableau intime. Je ne bouge plus, tendue par la peur que la jeune femme ne remarque mon trouble ou pire, qu’en lui indiquant la parfaite indécence de cette vision si délicieusement troublante, elle ne m’en éloigne à jamais dans une retenue qui viendrait rabattre les deux pans de son chemisier l’un sur l’autre. La soirée animée, nos rires, le partage amusé autour de ce diner d’été près d’un figuier centenaire, le mouvement délicat mais vif avec lequel elle étire le bras pour remonter ses cheveux sur son front, les placer derrière sa nuque, glissant une mèche rebelle derrière l’oreille gauche, ont peu à peu évasé l’échancrure de son chemisier et permis cette indiscrétion. Peut-être un bouton s’est-il détaché relâchant ainsi le tissu léger ? Mue par une éducative décence, à plusieurs reprises je manque lui faire remarquer qu’elle peut offrir à la vue de tous les prémisses de sa gorge rebondie mais me tais à chaque fois, le regard captif de la douceur du grain de sa peau, de son subtil hâle doré, de cette imperceptible rougeur qui parfois la prend lorsqu’elle s’agite ou parle. Personne d’autre ne semble remarquer la furtive révélation. Il fait nuit, encore chaud malgré l’heure tardive. Quelques bougies nous éclairent à peine et le vin fait le reste, troublant nos visions dans une obscurité bienveillante qui nous enveloppe d’une intimité évidente. Aussi je continue de l’observer sans autre retenue que la crainte de l’offusquer alors qu’une fine et imperceptible larme de sueur roule et disparaît au creux du sillon qui partage sa poitrine, vouant aux gémonies ma sage réputation.
Mathilde. Un bien joli prénom hérité d’une grand-mère française exilée en Nouvelle Angleterre. La jeune femme est arrivée un peu plus tôt dans l’après-midi accompagnée de deux hommes, Peter et Mickael. Je n’ai pas saisi lequel des deux était son mari, son amant, son compagnon. Aucun ne parle vraiment le français dans cette particularité toute anglo-saxonne d’imaginer béatement que le monde entier parle leur langue. Nous sommes huit à table et pourtant, pour ces trois là, nous échangeons depuis des heures dans la langue de Shakespeare ou tout au moins, pour certains d’entre nous, dans la confusion festive d’un franglais maladroit. Mais chacun semble s’y retrouver, se comprendre et nos échanges ne déméritent en rien dans un manque parfois cruel de vocabulaire. Nos gestes et nos fou-rires suppléent alors à nos hésitations.
Nous nous sommes baignés, plus tôt dans l’après-midi, joyeux, insouciants, libres. Victor et Emma nous ont rejoints alors. J’étais heureuse de les revoir comme depuis ces trois dernières années dans ce rendez-vous chez Pierre devenu rituel. Le couple avait disparu aussitôt vers l’une des chambres du premier étage, sous prétexte de se mettre en tenue de bain. Nous avions souri d’entendre leurs soupirs que la torpeur du jour étouffait à peine. Peter, Mickael, Mathilde, Pierre, notre hôte, moi, sur le bord de la piscine, allongés, étendus au soleil, nous étions séchés sans un mot, dans une bienveillance commune pour ne rien perturber des ébats du couple dont j’enviais l’imperturbable complicité amoureuse.
Moment présent. Léger vertige, début d’ivresse.
Le diner prend fin. Quelques bougies, beaucoup de pénombre, une lumière plus loin en façade brûle les ailes de quelques insectes trop téméraires. Mickael - ou bien Peter ? – parle d’une voix grave et douce que tous écoute sauf moi. Les mots glissent sans que je les entende ou les comprenne. En fait, je n’écoute plus afin de laisser au seul sens de la vue toute l’intensité du moment. Mathilde a bougé, se renfonçant dans son siège, le visage tourné vers le ciel sudiste que griffent de temps à autre de petites météores qui plongent vers le sol. Juste derrière nous, un bosquet de thym et romarin mêlés nous enivre autant que ce vin de pays, rugueux et terrien, que Pierre continue de nous servir. Cette soirée touche à l’éternité, un moment à part, un temps d’un équilibre parfait, comme il en existe rarement, si peu.
Juste le galbe de son sein. Je ne peux m’en détacher. La vision m’accapare, me happe, et me hantera longtemps, je le sais. Même si Mathilde, en bougeant, a soustrait à mon regard ce délicat mirage. Du mouvement autour de la table. On me déloge. Jeux de cartes. Rires. Je me retrouve à côté de la jeune femme. Tout contre elle. Je ne vois plus mais je la sens et c’est peut-être encore mieux, comme si en perdant la vue étourdissante sur ses rondeurs frémissantes, je gagnais en ressenti. Dans le mouvement commun de nos corps, le chemisier, pudique, refermé, exacerbe mon attente. Le tissu, légèrement tendu, palpite. Je frémis, frissonne. Mathilde me regarde, attentive, me sourit, passe sa main sur mon dos. « Are you cold ? » Je dis que non, que tout va bien, qu’il fait encore chaud en maudissant cette rigidité, cette retenue qui froisse mon corps et contraint mon désir. Que n’a-t-elle laissé sa main qui glissait si calmement le long de ma colonne. Que ne puis-je lui avouer qu’il me faudrait passer la nuit ainsi, contre elle, sans bouger, sans m’en écarter, et garder sa chaleur contre ma peau. Arrêter de fuir, de refuser. Lui sourire, la prendre. A nouveau je frissonne. Encore, elle me dévisage. Les autres jouent, poker, je n’aime pas les cartes. Je ne tiens plus d’être si près elle et pourtant si loin. Je ne peux plus. Soudain je me lève, sans réfléchir, en maudissant presque instantanément mon impulsive réaction. Je propose de faire le café. J’ai au moins trouver une contenance.
Dans la cuisine, je fixe sans plus de pensées le goutte à goutte coloré et parfumé d’un pur arabica qui s’écoule avec paresse. Je tente de reprendre pied. Mais tremble encore. J’entends au loin les voix, les rires, les exclamations quand l’un gagne, quand l’autre perd. Je reste calée, figée, hébétée de trop soleil, de trop de chaleur, trop de vin, trop d’émotions à fleur de peau. Sous ma tempe, une veine bat, emplissant ma tête d'un lourd et répétitif "Bang... bang... bang..." Je cherche encore dans les moindres détails de cette soirée à déceler à travers les gestes, leurs mots, leurs échanges qui des deux hommes aura l’heur de la coucher contre lui. Lequel des deux, de Peter ou de Mickael, va l’attirer à lui et l’embrasser, et la caresser et la pénétrer. Avec qui va-t-elle mélanger ses soupirs, son extase ? Avec lequel va-t-elle se mouvoir, s’offrir, s’ouvrir ? Lequel des deux recueillera sa jouissance ? Et je maudis par instinct cette nuit où le sommeil, lui, ne me prendra pas. Alors je ferme les yeux.
"Bang... bang... bang..."
C’est sa main sur mon épaule que je sens en premier qui guide mon corps à se retourner et m’impose de lui faire face.
Je ne l’ai pas entendue arriver. Mathilde accroche mon regard comme s’il était vital à son propre équilibre. Derrière moi, le café continue en petits crachotements intermittents. Pendant combien de temps va-t-il encore s’écouler nous donnant ainsi le tempo de cet instant en suspend. Mathilde se penche vers moi. Je ne fais pas un geste de peur de tout compromettre. Je sens ses cheveux longs, d’un brun profond, presque noir, glisser sur ma joue. Je me lance. Cette fois, c’est moi qui les écarte et les replace, sagement, derrière son oreille. Nous nous regardons, toujours sans rien dire. Quel mot serait utile en pareil moment ? Son front contre mon front. Son souffle qui se mêle au mien. Puis ses mains avec lesquelles elle enserre mon visage. Enfin ses lèvres.
Elle m’embrasse dans une douceur miraculeuse, comme si cela allait de soi, comme si, pour l’avoir attendu si longtemps, ce baiser prenait alors tout son temps. Je toise la jeune femme dans une impérieuse et irrépressible envie d’elle. Ma main frôle le tissu de son chemisier blanc, en fait une chemise d’homme sans doute empruntée à l’un de ses deux compagnons. J’effleure du bout des doigts ce sein tentateur, son galbe si inspirant, sans me résoudre à l’enserrer, pour ne pas lui donner trop vite trop de réalité. Sa langue glisse dans ma bouche. Je perds l’équilibre et bascule enfin aux creux de ses bras.
Nues dans un lit. Au loin, une odeur de café flotte encore. Je la regarde. Elle sourit, toujours, comme une caresse. Je ne me souviens pas qui de l’une a entrainé l’autre vers l’escalier, vers la première chambre s’offrant à notre impatience. Un clair de lune audacieux me dévoile son corps.
Son visage tourné vers moi, les yeux mi-clos, Mathilde se glisse sans bruit contre moi. Ses lèvres plaquées contre les miennes nous évitent tout murmure. Nous ne voulons attirer aucune autre attention que celle qui nous saisit et nous colle l’une à l’autre. Ma main sur sa cuisse la touche si lentement qu’elle semble en mourir. Elle tressaille, tremble, retient un gémissement. Sa jambe remonte, mouvement imperceptible, qui l’écarte, qui l’offre à moi. Je glisse ma main à l’essence même de toute vie, dans son humidité sacrée, mes doigts cherchant sur son bouton dur et vibrant l’excitation de son plaisir dans un désir mouillé. Mathilde soupire, s’écarte encore plus, s’ouvre à moi, m’appelle, se cambre, m’aspire, me retient, me mord, m’engloutit.
« Hey girl! What about coffee ? » J’ouvre les yeux brutalement manquant de lâcher au sol le plateau sur lequel je viens de placer tasses et soucoupes. Près de moi, la cafetière gémit, gonflée, emplit d’une odeur chaude et sucrée. « Do you need some help ? ». Mathilde me regarde, intriguée de mon trouble, surprise de m’avoir déstabilisée à ce point. « I’m sorry… I didn’t want to scare you… ». Comment lui expliquer qu’elle ne m’a pas fait peur mais bien au contraire, presque fait jouir.
Je lui souris et lui tend le plateau. Nous rejoignons la troupe à l’extérieur. Je la regarde avancer devant moi et n’en reviens toujours pas des émotions qui m’ont submergée quelques minutes plus tôt. Je repense à ce film avec Jodie Foster, « Contact », dans lequel l’actrice traverse un espace temps qui aura duré plus de 15 minutes pour elle mais à peine quelques secondes pour les autres. Aurais-je moi aussi traversé une telle perturbation temporelle ? J’ai peur d’avoir les joues en feu et que Mathilde ait compris ce que mon trouble avait de si prenant, de si lancinant, de si excitant.
Mais elle ? Depuis combien de temps me regardait-elle ?
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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