Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
9 Mars 2010
Cannes la Bocca, Cannes la Bocca, trois minutes d’arrêt ! Je courre comme une malade. Je vais pour m’engouffrer dans les escaliers, passer sous la voie A, rejoindre le quai de la voie 2. Je suis stoppée net par un contrôleur à veste bleue turquoise du plus horrible effet, deux bonnes tailles trop larges pour lui. Vous n’avez pas composté votre billet Madame. Oui, mais si je le composte, c’est mon train que je vais rater ! Le bleuet flashy ne veut rien savoir. J’ouvre mon sac, j’extirpe le maudit bout de papier coincé évidemment sous mon porte-carte qui bloque. Veuillez vous écarter du quai ! Le nez du TGV pointe. Je manque déchirer le billet en me faisant bousculer sérieusement par une matronne tout aussi pressée et essoufflée qui me catapulte un mètre plus loin. Je me repositionne. Je glisse enfin mon titre de transport en calculant le temps nécessaire à me jeter du haut de l’escalier pour remonter de l’autre côté aussi rapidement avant la fermeture inéluctable et fortement prochaine des portes. L’appareil n’émet aucun bip. Je replace, la main tremblante, le billet au compostage sous l’œil soudain suspicieux du bleuet. Toujours pas de bip salvateur. Soupirs exaspérés du contrôleur qui se saisit nonchalamment du papier, l’inspecte, le retourne…Mon train !… et le place tout aussi lentement dans la fente qui émet, enfin, le sésame m’ouvrant le tourniquet. Je n’ai pas même le temps d’être vexée. Je dévale l’escalier, remonte sans me soucier des crampes qui me mordent les mollets et m’engouffre, que dis-je, plonge à travers la première porte trouvée qui se referme avec un sourd bruit pneumatique derrière mon dos. Le train s’ébranle pendant que je rend l’âme…
Trois voitures plus loin, quelques écrasements de pieds plus tard, je trouve enfin ma place, la 72, côté fenêtre… occupée…
- Pardonnez-moi… je crois que vous êtes assise à ma place…
Un regard sombre se dresse devant moi, me mettant au défi de continuer. Je me racle la gorge. Je ne viens tout de même pas de faire toute cette course pour être ainsi interdite de ma réservation ! J’agite mon billet avec la foi du Juste qui n’en démordrait pas de la légitimité de son combat.
- Vous voyez… place 72… nous sommes bien voiture 3, n’est-ce pas ?.. (remarquez comme je reste polie)
Le regard sombre me fusille à nouveau, deux salves précises et au pouvoir impactant certain. Mais je tiens bon.
- Je suis vraiment désolée, mais vous êtes à ma place. (ton toujours aussi poli mais bien plus sec)
Je veux m’asseoir, je veux me poser, je veux ma place ! Je me sens prête à croiser le fer avec le regard sombre qui, dans le plus grand des silences méprisant, me tend alors son billet… voiture 3… place 72…Dans les compagnies de transport, on appelle cela un surbooking…Je comprends alors aussitôt que mes chances d’occuper cette place sont quasiment nulles, attendu que le regard sombre s’y est installé bien avant mon arrivée. Il ne me reste plus qu’à me draper dans ma dignité et trouver un contrôleur, à veste grise, cette fois-ci.
Je quitte la voiture à la recherche du dit personnage… en vain…au bout d’une demi-heure d’infructueuses recherches, je me positionne dans la voiture bar en équilibre instable sur un tabouret haut et étroit. J’ai faim, j’ai soif, je suis fatiguée, mais pas un billet dans mes poches, n’ayant pas eu le temps de passer au distributeur avant mon départ. Je suis au bord d’un profond désespoir lorsque enfin, le tissu grisaille fait son apparition au bout de la voiture. Mon terne sauveur allait pouvoir alors me trouver une solution, en l’occurrence, une place libre !
- Nous sommes complet, Madame.
- Mais j’ai un billet, une réservation, quand même !
- Ouais mais ça arrive ça…
- Mais vous devez me trouver une solution !
- Ben vous êtes bien, là, non ?
Le rouge, la suffocation, l’envie du meurtre parfait se saisirent de mon tempérament plutôt calme mais sérieusement mis à mal depuis ce matin, alors qu’après avoir insisté auprès des amis adorables mais nonchalants qui devaient me déposer à la gare, nous étions tombés dans des embouteillages matinaux monstrueux sans pour autant être absolument inattendus.
- Vous plaisantez là ?
- Ben non. J’ai pas d’autre solution à vous proposer, moi.
- Et mon billet Vous me le remboursez ?!
- Ha ben non. Vous voyagez là quand même. Faudrait pas voir à exagérer…
Exagérer ?! Ca y est, le gris cheminot était mort !
- Si vous voulez vous asseoir à ma place, vous pouvez…
Alors que le triste sire avait déjà décollé embarquant avec lui son manque totale d’empathie et son devoir de service, je me retrouvais face à une apparition que j’aurai pu trouver charmante si mes nerfs attaqués ne me coupaient de ma frange neuronale et sensitive. Je reconnus néanmoins, malgré un calme tout relatif, le regard sombre.
- Je suis vraiment désolée, c’est odieux ces doublons de réservation. Je vais rester là un petit moment si vous voulez aller vous installer à ma.. enfin… place 72…
Un soupir long et lassé s’échappa de ma poitrine. L’idée de m’installer dans ce fauteuil tant convoité m’attirait, certes, mais d’être ainsi obligée de le laisser quelque temps plus tard coupa mon envie. Je décidais alors de reporter mon attention sur ce qui encadrait, a priori avec bonheur, la ténébreuse vision qui insista néanmoins.
- Alors laissez moi vous offrir quelque chose ? Un café peut-être ?
J’avais toujours aussi faim, j’avais toujours aussi soif. J’acceptais, baissant ma garde, rendue, défaite .
Elle était journaliste, un peu bavarde à mon goût et charmante. Au bout du deuxième café dont je dévorais avec gourmandise le speculoos offert avec, nous avions déjà passé en revue les deux derniers sujets de ces articles, l’un social traitant d’un foyer pour femmes maltraitées, l’autre plus « people », sur les micros carrières d’inconnus célèbres, fulgurantes mais tout aussi éphémères. Son visage s’était animé de beaucoup d’intelligence et d’enthousiasme. Parfois, elle s’arrêtait au beau milieu d’une phrase, comme pour trouver le mot juste, suspendant ainsi sa conversation d’un agréable et aérien silence. Elle reprenait alors avec fougue. Je la regardais avec malice. J’aime contempler cette flamme intérieure qui se saisit de ceux qui choisissent avec bonheur leurs centres d’intérêt. Et puis un « petit » détail accaparait légèrement mon attention, je dois bien l’avouer. Le corps de mon interlocutrice se mouvait avec une grande grâce, un aisance certaine, et un dynamisme évident au gré de se mots, tantôt se redressant, ouvrant les épaules, se cabrant légèrement, tantôt se penchant vers moi, dans un geste de confidence retenue qui avait alors pour effet d’ouvrir très légèrement mais sûrement son corsage et dévoilant par la même le début d’une gorge parfaitement ronde et généreusement plongeante. Je devinais le contour en dentelle blanche d’un sous vêtement que j’appréciais comme très féminin et de la meilleure des factures.
La vision état charmante ; comme il se doit. Elle s’offrait sans négligence ni ostentation, avec même une certaine candeur et il me fallut soudain toute ma concentration pour ne pas y visser mon regard ce qui aurait eu sans doute comme effet de me faire passer pour ce que je ne suis pas. Mais comment résister ? De surcroît, pour mon malheur ? bonheur ? le maintien du premier bouton fermant le corsage se fragilisait au fur et à mesure des mouvements de ma tonique interlocutrice. Je le voyais, mis à mal par les tiraillements successifs, commencer dangereusement à glisser au travers de la boutonnière risquant à tout moment de s’en désolidariser. J’aurai bien voulu en avertir la future dévoilée mais cela aurait alors signé l’intérêt que je portais depuis un certain moment à ces rebonds gracieux.
Je me redressais alors, cherchant ainsi à inciter ma vibrionnante journaliste à en faire de même, espérant dans ce mouvement ascendant à ce que le bouton se recale à sa place. Mes espoirs furent presque exaucés. Remontant les épaules alors qu’elle attaquait avec ferveur le récit d’une expérience où elle et une intrépide consoeur avaient passé une semaine dans la rue à la rencontre de travailleurs précaires sans domicile, je vis la petite surface circulaire et nacrée revenir vers une position puis sécuritaire. Réapparaissant entièrement dans son logement, tenant enfin solidairement les deux pans du corsage, le bouton réintégrait son rôle protecteur. J’en souriais presque de contentement soulagé. J’allais enfin pouvoir poser mon regard vers une cible moins mouvante et dangereuse pour l’intégrité de ma réputation.
C’est à ce moment là que dans un mouvement de bascule énergique, la journaliste replongea vers moi, certainement afin de s’assurer que j’entendais bien l’intégralité de son discours.
N’y résistant plus, le bouton renégat sauta. Instantanément, la vue se dégagea, s’offrant dans toute sa plongeante splendeur, légèrement précédée d’un très léger bruissement de tissu froissé. Les rondes et redondantes formes se présentèrent, délicatement retenues par une dentelle ouvragée et si ajourée, que le grain de la peau légèrement mat, aisément s’y contemplait à travers. Magnifique fut le premier mot qui me vint en tête, tout aussi rapidement accompagné d’une musique que je reconnus en quelques accords, l’air d’Amazing Grace, cet hymne qui semblait souligner si merveilleusement bien le dessin galbé de cette majestueuse poitrine.
C’est avec un geste des plus détachés que la journaliste prolixe s’empara du bouton et le remit à sa place et dans son office sans stopper son agréable babillage. En un temps record, tout rentra dans l’ordre à part mon émoi qui lui, continua sur sa lancée, tel un navire qu’on voudrait arrêter mais qui glisse encore lentement sur l’eau.
Le train arrivait à son terminus, nous surprenant au gré d’un voyage que nous n’avions pas vu passer, elle dans sa faconde, moi, dans mon attentive et excitante angoisse.
Nous nous séparâmes sur le quai, au niveau de la place 72 que nulle n’avait finalement occupée.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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