Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
25 Novembre 2009
Il y a quelques sourires, des questions précises, répétées pour une meilleure compréhension. Il y a des dossiers, bleus, qui se remplissent, des feuillets qui se glissent dans des casiers apposés le long de portes à numéros qui se suivent. Des casiers vides, d’autres pleins. Numéro 2. Numéro 5. Numéro 3… Mais pour obtenir ce numéro, il faut en tirer un autre, au préalable, numéro qui nous échoit au hasard d’un tirage où l’on ne gagne rien. Juste de se faire appeler au son d’un un violent bip qui fait lever la tête même à celles qui ont déjà déposé leur dossier bleu, un bleu un peu plus foncé que celui des portes.
C’est un lieu de patience silencieuse où chaque visage est le plus souvent fermé sur sa propre attente, destin, avenir, contrôle, résultat. C’est un lieu de femmes. Les hommes ont préféré rester dans leur voiture, sur le parking, au café du coin de la rue, dehors devant leur cigarette dont ils tirent des bouffées nerveuses. Les hommes n’aiment pas ces endroits là. Les femmes non plus mais on les y laisse seules. Je fais partie d’elles aujourd’hui.
Parfois, une porte bleue s’entrouvre. Une main, puis un bras se glisse dans l’entrebâillement, s’emparant d’un dossier, pour disparaître aussitôt. Je pense à ses tirelires d’enfant, celles où l’on dépose une pièce sur un socle avant qu’une main, surgissant de nulle part, s’en saisisse et la cache au fond de la boite.
Les regards furtifs jouent à pile ou face. L’une des portes va s’ouvrir. Mon nom va retentir. Quand ? Trop tôt ? trop tard ? La porte, c’est la frontière entre l’avant et l’après, le Rubicon de nos angoisses souterraines, notre peur de la révélation. Verdict. Pourquoi imagine-t-on toujours le pire ? Toujours.
Mon nom…
Je me lève et déglutis dans un vague sourire. Je suis courageuse, une grande fille, tonique, bien sûr que rien ne peut m’arriver. J’exorcise ma trouille d’un claquant « ha !» qui se meurt sur mes lèvres. Je suis courageuse, j’affronte toujours mes problèmes debout. Je suis courageuse…avec une boule dure et lourde dans l’estomac. Je voudrais juste me blottir dans des bras, qu’on me caresse les cheveux, qu’on me parle d’une voix qui rassure. Surtout qu’on me rassure. Qu’on me dise que ce n’est pas pour cette fois-ci, que ce n’est pas mon tour, mon jour. Que ce n’est pas moi qui ai tiré le mauvais numéro.
Je veux un chevalier blanc pour m’enlever sur son cheval. Un blanc aussi éclatant que les blouses qui m’entourent. Pieds chaussés dans des sabots qu’on traîne, radios à la main, stylos à profusion dans la poche, patronyme et fonction clippés sur l’autre. Les poches ici baillent toujours, toujours trop chargées, remplies comme de petites besaces, bureau ambulant.
Personne en vue pour me sauver. La voix insiste, répète mon nom. Je ne peux pas voir, d’où je suis, le visage de cette voix. Glas. Je m’extirpe du fauteuil en bois, plie mon journal, range l’ipod au fond du sac. Je n’arrive pas à éteindre le son. Main qui tremble . Pourquoi ?! Mais pourquoi bon sang ?! Tout va bien. Jusque là, tout va bien…
Relevez la tête, sourire franchement, pas ferme. Bureau étroit. Il y a fait encore plus chaud. C’est nécessaire. Question d’usage. Je dois me dévêtir. Je le fais derrière le dossier d’une chaise, maigre paravent, pudeur incertaine, inutile. On ne me regarde pas. On m’attend. On me demande de bien vouloir me placer sur la table. J’ai froid maintenant. Personne ne viendra me sauver de ce moment. Trop tard. Palpations ; nouvelles questions. Je fais répéter. Je ne comprends plus, plus rien. Commentaires sans passion, techniques… c’est normal…9 femmes sur 10…contrôle plus régulier…et pourquoi je ne suis pas la dixième ?…j’ai toujours réussi à sortir du rang jusqu’à présent, alors là aussi !
J’ai un peu mal. Je ferme les yeux. Il faut que je me décontracte, impérativement. Maintenant, je prie pour que la porte ne s’ouvre pas, me dévoilant sur ma faiblesse et cette si embarrassante posture. Comment penser à quelque chose de beau dans cette douloureuse immixtion de mon corps.
Plus de bruit, plus de mouvement, juste le crissement d’un stylo sur une feuille. Je me rhabille, à la hâte, retrouvant au fur et à mesure de mes vêtements enfilés, les parures de mon humanité. Le brouillard s’estompe. Je perçois la chaleur de la voix.
Dehors, il fait presque beau.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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