Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
21 Octobre 2009
Je montais au quatrième soulagée d’entendre la cabine se perdre dans les limbes des étages supérieurs. J’avais noté sur un bout de papier les instructions pour me rendre chez la rédactrice à qui je devais remettre mon papier. Etant complètement hors délai, elle m’avait demandé de passer chez elle, à l’autre bout de Paris, trois quart d’heures de métro pour moi, vingt bonnes minutes de marche à pied, juste pour le lui déposer. Il m’avait été néanmoins difficile de refuser. Mon aventure avec Lian m’avait un peu déboussolée et j’avais pris un retard énorme sur mes rendus. La revue était à deux jours de la mise sous presse et je dois bien avouer que sans le soutien de Carla, pardon, Karla, qui avait insisté et interféré en ma faveur, j’aurais perdu cette parution et sans doute toutes celles liées à ce grand groupe de presse. Il était prévu que nous travaillions, la rédactrice et moi-même, une petite heure sur le papier afin de faire les dernières retouches toujours nécessaires pour que le papier soit parfaitement calibré au support. J’arrivais devant la porte. Je pris quelques secondes pour retrouver un souffle normal et calme que j’avais pour l’instant saccadé, non pas tant de la montée à pied, mais plutôt du souvenir brusque de Lian. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Pourquoi était-elle partie aussi vite sans rien me dire ? Je ne voulais plus y songer. Je sonnais.
De petits pas feutrés se firent entendre derrière la porte qui s’ouvrit presque aussitôt. Une employée de maison apparut et d’un geste las me fit signe d’entrée, m’écoutant à peine me présenter et me coupant la parole pour me lâcher dans un soupir fatigué « Madame vous attend ».
Je remballais donc la fin de ma phrase et suivis la petite employée, elle m’arrivait à peine aux épaules, le long d’un large couloir blanc.. Nous longeâmes un salon entièrement blanc, lui aussi, meubles, canapés et murs dans un design des plus contemporains. Ça sentait le décorateur d’intérieur à plein nez et il n’y avait comme il se doit, aucune place de vie, de refuge confortable, de recoins douillets. Aucun désordre ne régnait. Je pensais que personne ne devait jamais venir s’installer dans cette pièce glaciale. Le couloir bifurqua vers la droite et nous arrivâmes devant une porte à laquelle l’employée frappa. Aussitôt, la voix autoritaire d’une femme se fit entendre.
- « Faites entrer Rosaria ! »
L’employa s’esquiva aussitôt sans attendre mon remerciement. La voix, impérieuse, se fit entendre à nouveau.
- « et bien entrez ! Nous avons assez perdu de temps comme cela ! »
Je n’avais qu’une idée, tourner les talons et quitter ce lieu détestable , cette voix arrogante mais je n’avais pas le choix. Si je n’édite pas, je ne gagne pas d’argent. Si je ne gagne pas d’argent, je suis obligée de faire n’importe quoi pour vivre. Et vous pouvez trouver mon style maladroit, plat, ou ce que vous voulez, écrire est encore ce que je sais faire de mieux dans la vie… J’entrais donc.
Je me retrouvais, à ma grand surprise, dans ce qui ressemblait bien à une chambre à coucher. Moi qui pensais arriver dans un bureau, je dus marquer un certain temps d’arrêt à l’entrée. Une femme était allongée sur le lit, en déshabillé chic, une chevelure extraordinairement bouclée, rousse lâchée négligemment sur ses épaules. Tout autour d’elle se pressait un véritable capharnaüm, deux ou trois téléphones portables, une quantité incroyable de télécommandes certainement destinées à la maîtrise des quatre postes de télévision se trouvant en face d’elle, des livres, des feuillets, un cendrier, un plateau sur lequel une tasse de café, en équilibre des plus instables, semblait vouloir se renverser à tout instant, et enfin, recouvrant le tout, des dizaines de revues et journaux. Je venais de pénétrer dans l’antre de la grande rédactrice Nicole Cisgnac, grande prêtresse de la presse haut de gamme, gourou de la mode et des modeux, et surtout réputée pour être la plus belle langue de vipère de la profession. Un mot, un geste d’elle et votre carrière décollait ou sombrait. D’emblée, je la détestais.
- Vous voilà enfin ma petite ?! Vous vous faites désirer, savez-vous ? Vous avez votre article, je suppose, je peux enfin en prendre connaissance ?
Je lui tendis les feuillets dont elle s’empara sans un mot. Elle chaussa ses lunettes et se mit à lire. Dans le même mouvement, Rosaria arriva, un plateau à la main, me faisant signe de m’asseoir près d’une petite table basse, dans un fauteuil crapaud. Elle posa le plateau devant moi et ressortit sans avoir prononcé un seul mot. J’étais terriblement mal à l’aise dans cette chambre, devant cette femme en toilette d’intérieur plongée dans mes écrits et dont j’attendais le verdict avec angoisse.
Dix minutes plus tard elle soupira, enleva ses lunettes et s’allongea la tête tombant en arrière sur ses oreillers. Elle ferma les yeux et ne bougea plus. Moi, c’est à peine si j’osais respirer. J’avais avalé la tasse de café en prenant soin de faire le moins de bruit possible, retenant ma déglutition à l’extrême, mesurant chacun de mes gestes. Je la regardais. Elle ne bougeait vraiment plus. Dormait-elle ? Se pouvait-il que, devant la simple inconnue que j’étais, elle put à ce point se détendre et se permettre de faire une sieste ? S’était-elle évanouie ? Sa respiration semblait calme et son visage était serein. Chance pour moi, Rosaria refit une entrée. Elle passa devant le lit sans s’émouvoir, se dirigea vers moi, se saisit du plateau. Son calme, ou plutôt sa totale indifférence à la situation stoppa net mes questions, voire l’alerte angoissée que j’allais donner. Rosaria, comme si de rien n’était, ressortit tout aussi silencieuse et détachée de toute inquiétude.
J’allais néanmoins lui emboîter le pas, ne sachant quelle attitude moi-même adopter lorsque je remarquais que cela bougeait dans le lit. Nicole Cisgnac ouvrit un œil, puis l’autre, s’étira, se releva, refit une rapide remise en place de sa chevelure qui, de toute évidence, semblait indomptable et me planta son regard noir bien en face.
- J’adore !
D’un coup de pied sec, elle rejeta les draps au loin et se leva brusquement.
- Vous m’attendez. Je m’habille et on passe à la rédaction tout de suite. Il y a deux, trois détails à remettre en forme mais vraiment rien d’important. On règlera ça dans la voiture.
Elle claqua la porte de sa salle de bain derrière elle. Je restais sur le fauteuil crapaud, bras ballants.
Dix minutes plus tard, nous prenions l’ascenseur, malgré mon aversion pour ce genre d’engin, pour rejoindre le troisième sous-sol où se trouvait son parking. Nicole Cisgnac était métamorphosée. Elle portait une robe rouge de haute couture, ses cheveux étaient relevés dans un savant chignon et surtout, elle me souriait pendant qu’elle mettait la dernière touche à son rouge à lèvres dans la glace de la cabine.
- Vous avez du talent, ma petite. Carla m’avait bien parlée de vous mais moi, j’aime juger sur pièce. Je ne suis pas déçue. Vous me trouvez comment ?
- Pardon ?.. heu… Parfaite…
- Merci. Je suis très rigoureuse sur l’aspect. Vous comprenez, ma petite, l’image que l’on donne de soi reflète ce que l’on est. Soyez négligée, vous paraîtrez brouillonne. Soyez trop stricte, on vous pensera ennuyeuse…
Elle me dévisagea des pieds à la tête. J’attendis son verdict.
- Pantalon…ouais…mais bonne coupe, ça vous sauve. Très joli couleur de chemisier, en revanche. C’est un Valentino ? Vous avez plutôt bon goût. Vous êtes lesbienne, n’est-ce pas ?
- C’est écrit sur mon front ?!
- Carla m’a parlé de vos préférences sexuelles. Moi, personnellement, je m’en moque mais c’est bien pour un auteur. Ça donne un côté très sulfureux. Et puis c’est terriblement branché en ce moment. Je me demande si je ne devrais pas commencer à le devenir moi-même…
Je me renfrognais. L’idée que Carla puisse discuter de ma vie privée avec des relations professionnelles m’indisposait au plus haut point.
- Faites pas cette tête ! Carla est bavarde mais c’est la meilleure sur le marché actuellement. Vous avez de la chance vous savez qu’elle vous représente.
Oui… Mais à supporter toutes ses sautes d’humeur et ses plans souvent bancals, j’estimais ne lui être redevable en rien. La cabine s’immobilisa et après un temps qui me parut une éternité et qui rendit mes mains instantanément moites de terreur. Les portes finirent par s’ouvrir lentement. Un couloir sombre se dessina devant nous.
- Allumez, voulez-vous. Je déteste passer par là, mais bon, la voiture ne va pas sortir toute seule, n’est-ce pas ?
Nous remontâmes le couloir. Je me décidais enfin à lui poser la question qui me taraudait depuis un bon moment.
- Dites-moi, tout à l’heure, après la lecture de mes feuillets, vous vous êtes… comment dirais-je, endormie ?
Nicole Cisgnac stoppa net et se retourna vers moi, exprimant l’air des plus étonnés.
- Carla ne vous a rien dit ?
- … non…
- Elle est peut-être plus discrète que je ne le pensais… mais bon, c’est de notoriété publique, ma petite, je suis narcoleptique. Vous savez ce que cela veut dire ?!
- Oui, je crois.
- Donc, pour un oui, pour un non, je m’endors. C’est irrépressible, je n’y peux rien. Mais c’est plutôt bon signe pour vous.
- … ?…
- Cela m’arrive notamment en cas de plaisir, d’agréables surprises…C’est un baromètre en quelques sortes. Cela me prouve que vos feuillets étaient bons.
Nicole Cisgnac s’arrêta devant une superbe jaguar, modèle XK, coupé, prodigieusement hallucinante. Soudain, elle me regarda.
- Où sont mes clés ?
- Votre employée de maison vous les a mises dans votre sac, souvenez-vous…
Nous avions déjà passé suffisamment de temps dans l’appartement à les chercher pour les retrouver glissées dans l’une des taies d’oreiller…
- Mon sac ? quel sac ?
Je lui désignais alors le sac, Chanel comme il se doit, qu’elle avait en bandoulière.
- Ha bon ? tenez.
Nicole Cisgnac me donna son sac et fit le tour de la voiture pour se placer devant la porte passager. A mon air très certainement ahuri, elle me lança :
- Vous ne voulez quand même pas que je m’endorme au volant ?
C’est ainsi que je sortis du parking, une petite goutte de sueur glissant entre mes épaules, au volant de cet incroyable véhicule dont j’effleurais à peine l’accélérateur de peur de le faire bondir. En même temps, passionnée de ce type de voiture rapide, j’éprouvais une certaine fébrilité à l’idée de me lancer sur la route à ses commandes. Très vite, je m’habituais à ces rugissements et maîtrisais son allure, me décontractant, et commençais même à sentir ce léger titillement que me procure le désir d’une vitesse rapide et d’une conduite sportive.
- Vous conduisez plutôt pas mal, ma petite… C’est souvent le cas chez les lesbiennes.
Les a priori de Nicole Cisgnac commençait à m’agacer ainsi que sa propension à me glisser des « ma petite » toutes les deux phrases.
- je connais des femmes hétéros qui se débrouillent pas mal non plus, lui répliquais-je.
- Des refoulées ! Je parie que vous faisiez de la mécanique, petite, avec votre père.
Je ne répondis rien. Cette femme m’agaçait trop, mais elle ne manquait pas d’intuitions. Malgré une circulation un peu dense, nous arrivâmes rapidement au siège des Editions Cisgnac, magnifique hôtel particulier classé du 7ème arrondissement. Je rentrais le bolide dans la cour pavée et coupais, à regret, le moteur.
- C’est une sacrée voiture n’est-ce pas ?
- Oui… mais vous ne la conduisez jamais ?…
- Non. Mais je me fais véhiculer, c’est pareil. Et avec un conducteur comme vous, ce fut un vrai plaisir.
Nicole Cisgnac bailla et se rendormit paisiblement quelques minutes.
Nous travaillâmes une bonne partie de l’après-midi. Finalement, le contact était aisé avec cette femme dès que l’on savait que ses sautes d’humeur, ses oublis, parfois les phrases incompréhensibles qu’elle balançait étaient liés à sa maladie. Je la soupçonnais néanmoins d’en rajouter et de permettre ainsi à ses caprices de s’exprimer à sa guise. Nous fîmes un bon travail et la maquette fut bientôt prête. C’était la première fois que j’étais publiée dans une revue aussi prestigieuse et je ressentais une vraie fierté à être dans ces bureaux, travaillant main dans la main avec l’une des plus célèbres rédactrices en chef du circuit.
Vers 20H30, Nicole Cisgnac bailla, s’étira et… contrairement à ce que je m‘attendais qu’il arrivât, c’est à dire qu’elle sombre dans un sommeil profond, elle me regarda avec un large sourire.
- Après l’effort, le réconfort ! Allons dîner !
Nous redescendîmes vers la cour. L’idée de reconduire la jaguar m’excitait d’emblée. L’odeur du cuir, la douceur des sièges, la précision du boîtier de vitesse, la subtilité extraordinaire de la direction, tout contribuait au bonheur de la conduite. J’aurais aimé partir vraiment, prendre l’autoroute pour la vitesse, puis rouler sur des routes plus accidentées, plus imprévues, moins dociles. Je m’imaginais prenant la montée de ce fameux col, celui de l’été, qui menait Là où je vais les courbes, de plus en plus serrées, l’étroitesse de certains passages, l’à-pic vertigineux , les roues qui crissent si près du vide. Je m’imaginais accélérant, décélérant, double débrayage, reprise de régime, abordant chaque virage avec attention et désir, mes reins faisant corps avec le dessin de la route, suivant chaque mouvement, souple, comme dans une danse. Conduire ainsi est l’un de mes plaisirs, l’un de mes plaisirs solitaires.
Pour le moment, je laissais les clés au voiturier du Grand Colbert, l’une de mes brasseries préférées. J’aime cet endroit à l’ancienne où les vieux couples peuvent encore s’asseoir l’un à côté de l’autre, où le plateau de fruit de mer est d’une fraîcheur irréprochable et où rien, surtout, rien jamais ne change. Il en est ainsi depuis si longtemps que cela peut sembler terriblement passéiste pour certains, quand moi je trouve cela délicieusement classique. Le temps, ici, n’a pas d’importance. Il est le même depuis des décennies et je pourrais m’attendre, à tout instant, d’y surprendre mes grands-parents, âgés d’une vingtaine d’années seulement, franchir le seuil du restaurant, à l’heure de leurs premiers émois.
Nicole s’assit sur la banquette non sans avoir fait le tour de la moitié de la salle pour y saluer ses nombreuses connaissances.
- J’adore cet endroit, me dit-elle
- Moi aussi, beaucoup.
- Cela nous fait encore un point commun… vous voyez.. Tiens, on aurait du inviter Carla !
Je fis une petite moue. Nicole Cisgnac rit de bon cœur.
- Vous n’êtes pas très charitable… cela nous fait deux points communs. Champagne ?
- Troisième point commun !
Au moment de trinquer, Nicole se pencha vers moi.
- Si je pique du nez dans mon assiette, soyez gentille, retirez là… tchin !
Nous commencions à entamer un énorme plateau rempli d’huîtres, de coques, de bulots, de crabes… lorsque mon portable se mit à sonner. Je décrochais précipitamment, confuse de ne pas avoir pensé à l’éteindre.
- Excuse-moi, balbutiais-je à la rédactrice
- Je vous en prie… le monde d’aujourd’hui a ses contingences…
Je me levais pour m’éloigner un peu, par courtoisie.
- Allô ?… oui, c’est moi… Qui ça ?
J’entendais mal à l’autre bout du fil. L’endroit où se trouvait mon correspondant était très bruyant, aussi bruyant qu’une salle de cabaret.
- C’est Laurie ! La barmaid de « La Vie en Rose » Faut que vous veniez là !
- Comment ça ? je vous entends mal… je peux pas là !
- Débrouillez-vous. C’est votre amie. Ça se passe mal pour elle.
- Comment ça ? Il y a un problème ?!
- Ecoutez, nous, on veut pas d’histoires, alors venez la chercher.
- Elle est là ? Lian est là ?
- Ouais…et c’est pas beau à voir. Alors, soit vous venez, soit j’appelle les flics, mais je crois que c’est dans l’intérêt de tout le monde qu’on évite d’en arriver là.
- J’arrive.
- Dépêchez-vous.
La barmaid raccrocha aussitôt. Je restais figée sur place, insensible aux passages des serveurs qui me bousculaient malgré eux. Je ne comprenais rien mais je sentais qu’il me fallait partir de suite. Qu’allais-je donc pouvoir trouver comme prétexte auprès de Nicole Cisgnac. Je regardais dans sa direction.
Sa tête, dangereusement ballottait d’avant en arrière pendant que ses yeux se fermaient.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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