Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
25 Janvier 2011
Sur un chevalet, un tableau
Sur le tableau, le paysage
Sur le paysage repose l’image
Académiquement encadrée par un rideau épais couleur terre
Ouvert sur la fenêtre en plein ciel
Toujours les mêmes nuages, toujours ce bleu
Et le blanc en contraste
Mais cette fois sans ombre
Une vue anodine
En partie de mise en abyme
Rien d’attirant
Rien d’étonnant
Simple copié collé impeccablement ajusté
Qu’en passant trop vite, on pourrait s’y tromper
Et voir ce qui n’est pas
Sans comprendre que tout est caché
Même là, on voudrait tirer les rideaux
Que l’image resterait
Paysage alors incrusté
Dans ce qu’on voudrait voir disparaître
La Vie
Récemment, j’avançais de salle en salle dans un musée. Sans doute le froid de cet hiver m’avait-il poussée vers cet endroit de pas feutrés et d’attentions recueillies. Le plaisir aussi de parcourir des yeux quelques toiles sans y prendre garde laissant alors toutes pensées construites dehors avec les bruits pressants de la ville et les rougeurs dues à la gifle du vent glacial. Au fur et à mesure de ma languide avancée, je sentais avec douceur le chaud me pénétrer et mon front depuis trop longtemps barré de la ride de pensées soucieuses, enfin se relâcher.
Je n’étais pas dans le plus prestigieux des musées mais sa collection simple et sans affectation plaisait à mon humeur plus en recherche de tranquillité, de petites choses anodines, de superflus que d’un émoi intellectuel et culturellement grandiloquent. J’avançais donc sans but, sans réelle concentration, un pas après l’autre, à peine attentive à ce qui m’entourait. C’est là que je le découvris.
Mon regard ne s’y accrocha pas tout de suite. J’allais dépasser ce tableau presque sans le voir lorsque la patte, bien entendu de l’artiste me retint. Magritte, mon amant artistique, coloriste de mes pensées, parfumeur de mes rêves. Magritte qui toujours, invariablement, chaque année, m’entraîne à Bruxelles pour le bonheur de flirter alors avec cet imaginaire si palpable, déraisonnable et parfaitement construit. Je ne connaissais pas cette œuvre là.
Elle n’est sans doute pas majeure et pourtant elle exprime avec une force certaine l’implacable réalité des choses, ce moi sur le moi, cette vue parfaitement reproduite et superposée à elle-même. Elle m’a touchée, en profondeur. Elle m’a atteinte, au fond du cœur. Elle m’a pulvérisée de sa simplicité. C’était l’image que je recherchais sans doute depuis longtemps, des mois peut-être, des années finalement. Elle est la cible de ma pensée même, la propre duplication de mon être. Ce que je suis et ce que j’ai été. Ce que je suis et ce que je deviendrai.
Enlevez le chevalet, il restera la vue. Bouchez la vue en tirant les rideaux, il restera le tableau. Magritte veut-il dire alors que quoi qu’on fasse, on ne change pas ? qu’on a beau tout faire de concret comme marcher dans cette prairie, aller vers les bois, ou parcourir des yeux uniquement ce trajet, nos émotions seront toujours présentes et parties prenantes de nous-mêmes. L’arbre est caché et pourtant on le voit. Il n’y a que si un personnage venait à emprunter vraiment le chemin qu’il pourrait alors exister sans apparaître parce que pris derrière cette toile, ce masque, protégé par une vision immuable. Mais si on ne le voit pas, peut-on alors dire qu’il existe vraiment ? Et imager un tel promeneur ne serait-il pas contraire à toute logique puisqu’il s’agit d’un tableau dont l’histoire est déjà écrite ?
Je me mis alors à sourire. Magritte, à nouveau, m’ayant bien attrapée en me projetant malgré moi dans toutes les lectures possibles de son tableau, me laissant moi-même me projeter dans son imaginaire, rentrant dans cette peinture et me laissant aller, promeneuse solitaire à jouer à cache cache avec les autres visiteurs du musée.
Je me mis alors à pleurer, reconnaissant malgré moi cette vue, celle d’un bureau, le bureau d’où j’écrivais il y a encore quelques mois et dont le panorama plongeait ainsi, du jardin à l’arbre, de l’arbre au petit bois. Mon propre imaginaire se collant alors, parfaitement, sur l’œuvre de l’artiste en une troisième mise en abyme.
Sur un chevalet, un tableau
Sur le tableau, le paysage
Sur le paysage repose l’image
Et de cette image provient la Vie
Inlassablement
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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