Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
2 Juillet 2010
Pour Isa, petite bulle de vie...
Elle est partie. Depuis plusieurs semaines déjà, quelques affaires emballées maladroitement, non pas précipitamment, mais juste sans grande attention, parce que là ne se logeait pas le plus important, elle a quitté cet espace, son domaine, ce qu’elle avait construit, si patiemment, au fil du temps. La décision de partir n’avait pas été facile à prendre, bien sûr. On ne se quitte pas soi-même aussi aisément. Mais il avait bien fallu la prendre cette décision. Avait-elle seulement un autre choix ? Lui avait-on vraiment laissé une autre alternative ?
Elle ne voulait pas partir. Encore aujourd’hui elle en pleure rien que d’y penser. Elle était bien là où elle était, dans cette vie façonnée durant des années, quinze longues années, où enfin, sans plus de bagages derrière elle, sans plus de cartons, de ceux qu’elle avait toujours trimballés avec elle tout au long de sa vie, sa vie d’avant ces quinze ans, elle s’était posée, ou devrait-on dire, déposée comme un sédiment qui sans plus d’agitation, tombe et s’ancre à la roche. C’est bien ce qu’elle voulait alors. Faire partie de cette roche. Devenir elle-même ce à quoi on s’attache et l’espérant comme un limon fertile, donner à sa vie la saveur unique de l’éclosion, de la croissance, de la multiplication, de l’exubérance, à l’image d’un pré fleuri au printemps.
Elle est partie. Parce que tout simplement, elle ne pouvait plus rester. Il n’y avait plus de place à son amour, à ses rires, à sa joie de vivre, à ses envies. Il n’y avait plus que le silence, l’absence. Et ce fut sans aucun doute une découverte bien étrange, tout ce vide autour d’elle, non pas qui dilate, mais au contraire comprime, compacte, étouffe. Être seul ne donne pas plus d’espace autour de soi, mais restreint, cage d’un matériau invisible, bocal sans air. Où étaient donc les bruits ? les rumeurs ? les douceurs ? les soupirs ? Aucun son ne filtrait plus. Aucune image ne lui parvenait. Aucune sensation ne la bouleversait désormais.
Elle ne voulait pas partir. Ne lui disait-on pas que tout cela changerait ? S’améliorerait ? Redeviendrait ce feu qu’elle avait alors connu, avant, bien avant, et qui avait tenu son cœur si bien chaud ? Elle avait tout accepté alors, pour y croire, pour l’espoir, pour soutenir aussi, aider, accompagner. Elle avait changé. Beaucoup. Elle avait terrassé ces propres démons pour ne plus qu’ils l’encombrent, risqué de tout perdre pour enfin gagner sa liberté dans une dignité retrouvée. Elle n’avait pas fui. Elle s’était apaisée. Pour parcourir elle aussi son chemin vers l’Autre. Pour que ces propres pas répondent en écho aux pas de l’Autre. Parce que tout se gagne dans le partage.
Elle est partie. Il n’y avait plus personne devant elle, plus de cet horizon bleu, si bleu, presque gris, vapeurs entre mer et ciel. Il faisait nuit, nuit sans aurore, glaciale sans être sinistre, juste obscure. De ces nuits où l’on ne verra jamais les bouteilles à la mer. Alors elle a arrêté d’en jeter. Geste devenu inutile. Et de ces textes qu’elle enfouissaient au fond d’un goulot, elle en a fait un nouveau départ, sa ligne de fuite, son futur itinéraire. Comment aurait-elle pu survivre sans ces courbes, ces tracés, ces signes ? Oxygène !
Elle ne voulait pas partir. Elle voulait continuer à lui donner sa parole qui exprimait tant ce besoin d’amour, celui qu’on donne, qu’on reçoit. Elle était décidée à rester. Elle avait trouvé cet émoi complémentaire, additionnel, celui qu’on peut mettre une vie à trouver, voire jamais. Jusqu’à ressentir la cruelle solitude d’être deux, sans plus jamais faire un. Les alarmes furent lancées, les alertes retentirent, les signaux de détresse balisèrent le ciel. En vain. La tristesse alors s’installa.
Elle est partie. Par fidélité. Envers elle, ce qu’elle était, ce qu’elle voulait sauver, mais aussi envers l’Autre parce que jamais elle n’a voulu trahir, mentir ou ne serait-ce que cacher. Elle est partie parce qu’il fallait que quelqu’un le fasse. Elle est partie parce qu’abandonnée au milieu du chemin, il fallait bien qu’elle continuât d’avancer. Elle est partie parce qu’elle en avait assez de protéger, de sourire, de faire semblant avec les autres, de dire que tout allait bien quand tout allait si mal. De dire qu’elle allait bien alors qu’elle avait si mal.
Elle ne voulait pas partir. Elle se serait encore bien tue pendant longtemps et aurait souri, et aurait trouvé belle la vie, et l’aurait clamé à qui voulait l’entendre. Elle ne voulait pas partir, pas sans se battre, pas sans y croire, encore, même au risque de se perdre. Elle ne voulait pas partir, elle l’a juré, pour la vie, mais la vie n’est pas une chanson et qui d’autre à part elle reprenait le refrain ? Elle ne voulait pas partir, mais n’en a rien dit. A qui aurait-elle parlé ? Elle ne voulait pas partir, ne pouvant plus se départir de son personnage, pitre et pirouettes. Qui l’aurait reconnu alors ? Elle ne voulait pas partir. Qui l’a aidé à rester ?
Elle est partie. Parce que la vie, merde, elle continue, elle, avec ou sans elle. Que cette chienne de vie l’aurait laissé au bord du chemin, sans aucun remord, aucune compassion, finalement comme elle l’était, depuis si longtemps, corps allongé, recroquevillé sur le bas-côté, mais sur lequel personne ne se retournait plus. Qu’elle se plaigne, qu’elle se navre de ce manque de soutien, on lui rétorque que sa faute est de ne pas avoir assez dit, parlé, raconté, exprimé… Qu’on en peut pas entendre quelqu’un qui ne dit rien. Mais il aurait fallu tant dévoiler alors, casser les belles images, ne plus protéger, avouer que l’Autre n’est pas parfait, que l’Autre fait mal, qu’il piétine, saccage et meurtrit aussi. Et puis peut-être, tout simplement, que les autres n’en veulent pas de votre chagrin.
Elle ne voulait pas partir. Parce qu’elle sait ses défauts, ses impatiences, ses tumultes, ses rages parfois. Elle les connaît si bien car de cela si peu lui en ont fait grâce. Toujours à lui rappeler, à la confronter, presque à la maintenir dans cet état de non maîtrise, de débordement. Elle qui savait pourtant si bien taire. Mais l’image ainsi rendue devenait prétexte à l’accablement de l’Autre, le leitmotiv pour excuser sa propre incapacité à s’en sortir, la cause de tous les problèmes alors que cela n’en était qu’une dramatique conséquence. Mais comment accepter un fardeau qui, finalement, n’est pas le vôtre ?
Elle est partie. Pour se sauver de tout cela, pour ne plus tenir ce rôle imposé, pour ne pas sombrer plus longtemps dans ce qui n’a jamais été elle. Pour ne plus représenter ce qu’en fait, elle avait toujours subi. Parce qu’elle a compris, qu’au lieu de se laisser pousser vers l’extrême, il valait mieux qu’elle parte vers son meilleur. Parce que sa faiblesse donne sa violence, alors que sa force procure tant de douceurs. Parce qu’elle a compris que ce n’était pas la tempête qui abattait la falaise, mais la vague quotidienne qui vient lécher son pied. Et que ce n’est pas la mer qu’on blâme alors, mais la roche qui tombe avec fracas, emportant malgré elle, une petite parcelle d’humanité. La sienne.
Elle ne voulait pas partir. Mais elle s’est dit que pour aller vers le mieux, on la suivrait alors. Qu’ils seraient là, eux, les autres, tous ces autres qu’elle aiment tant, à qui elle a tout donné, tous ces frères et ces sœurs de cœur qu’elle na jamais voulu abandonner. Comprendront-ils seulement qu’elle est incapable d’abandon ? Elle pensait qu’ils partageraient cela avec elle, dans la compréhension et l’échange, ce qu’elle leur a toujours offert, par ailleurs. Mais peu sont là, empêtrés dans un choix qu’ils avaient bien jurer ne jamais prendre, un parti pris, sans doute, ou pire, peut-être juste de l’indifférence.
Elle est partie. Pour décider d’être enfin ce qu’elle veut, qui elle veut. Et pour sourire à nouveau. Et pour aimer encore. Et pour partager, toujours. Pour confier que dans ce départ traversé avec chagrin et douleurs, elle a trouvé un soleil, une route, nouvelle, belle, pleine d’amour, de confiance, de douceurs, d’attentions, d’attentes, de rires, de compréhension, d’écoute, de bonheur. Une route sur laquelle elle voudrait voir les autres s’engager, avec confiance et joie, parce que c’est sa vie à elle maintenant et que chacun y a sa place, s’il le désire. Le temps du deuil est passé. Les autres ont continué leur vie, qu’ils ne lui refusent pas la sienne. Elle a payé le prix fort pour être celle qui est partie, qui a rendu public la scission, les divergences, la séparation, et le manque d’amour. Les intérêts ont été élevés de silence, de réprobation, d’éloignement. Cela a été une dette bien lourde, qu’on lui a laissé payer seule sans se demander s’il n’eût pas été plus honnête de partager l’addition.
Elle ne voulait pas partir. Et elle ne reviendra pas.
Elle est partie… Oui… elle est juste partie.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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