Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
16 Octobre 2009
Pour être à la hauteur de l’événement et célébrer dignement ce passage initiatique, j’avais laissé flotter sur mes épaules mes longues boucles blondes, ayant réussi l’exploit de tenir à distance ma mère et sa propension compulsive à me couper les cheveux hebdomadairement. J’avais revêtu une jupe plissée, enfilé une paire de collants prêtés par ma soeur et portais un chemisier dont l’imprimé de toutes petites fleurs multicolores me faisait ressembler vaguement à une lampe Tiffany.
Les dieux étaient de notre côté pour célébrer ma métamorphose, il faisait un temps splendide, mon anniversaire tombant début juillet, et chaque convive semblait en empathie totale avec les autres, évitant de déterrer les vieilles querelles qui immanquablement font le lie de la famille. L’incontournable chapelet de discours de type « ma fille face à ta vie de femme » avait tiré des sanglots longs à ma mère et à moi aussi, un peu, quand même…quelques amis espagnols avaient même fait le voyage mais ni Pedro, ni Paco, à l’armée tous les deux, ni non plus la belle Marta qui ne m’écrivait plus depuis plusieurs mois. De toutes façons, je n’attendais plus ses lettres. En fait, j’avais complètement mis de côté l’attrait que j’avais pu ressentir pour la jeune fille d’alors et enterré jusqu’à la moindre parcelle émotionnelle de ce souvenir. Cela avait été une parenthèse, à peine une légère virgule dans ma vie et je n’y pensais plus. Je ne voulais plus y penser. L’affaire était close
Je venais d’avoir 18 ans et les portes de la vie s’ouvraient à moi. Je devenais majeure, responsable de moi-même. Bref, j’étais la reine de ce jour et j’attendais avec impatience le dessert pour pouvoir déposer la cerise sur le gâteau et annoncer à l’assemblée mon futur mariage avec mon Christian qui, pour l’occasion, s’était mis sur son 31 et suait à grosses gouttes, refusant de tomber la veste malgré les 28 degrés ambiant. C’était mes deuxièmes fiançailles en à peine un an, je ne voulais pas rater celles-là. Pour faire un aparté, vous l’aurez compris, lorsque j’aime, j’épouse…
Tout était donc écrit, tracé, rassurant. J’allais entrer en fac de Lettres en septembre, j’avais décroché un poste de surveillante dans un collège, Christian m’aimait et reprendrait bientôt l’affaire de son père. Tout allait d’autant mieux que nous avions échappé, de peu, à une grossesse malencontreuse, mes règles absentes depuis deux mois ayant eues l’extrême obligeance d’être à nouveau d’actualité.
J’étais heureuse, entourée, aimée. La seule petite ombre au tableau était que mon amoureux, bientôt fiancé, futur marié avait refuser de passer ses vacances en Espagne, cette année. Sans doute se méfiait-il de ma propension à adopter l’attitude latine à savoir incontrôlable dès que mon pied traversait la frontière. Nous irions donc chez ses grands parents en Dordogne. Et puis je devais réviser ; je voulais passer le concours de l’Ecole Normale à la rentrée, m’engageant à devenir professeur de Lettres…
Le 9 septembre était arrivé de lui-même, sans impatience, ni attente, sans trouble, sans nuage, juste à sa date prévue.
C’était le premier jour de rentrée des classes et pour moi, la première fois où je faisais cette rentrée non pas côté élèves mais côté encadrement. J’avais déjà passé une semaine auparavant à préparer les plannings, faire des listes, remplir les livres de présence. J’avais fait connaissance avec l’équipe, plutôt sympathique, quelques professeurs, et bien sûr, la surveillante générale chargée de nous chapeauter, l’inénarrable Madame Lajoyeux, vite surnommée la Veuve Joyeuse, toujours prompte à menacer les retardataires d’un « Je vais vous mettre des tritons dans votre culotte si vous ne vous dépêchez pas ! ». On m’expliqua rapidement qu’un petit plan d’eau au fond du parc du collège en était rempli et que madame Lajoyeux adorait aller y surprendre les petits couples qui venaient y éprouver leurs premiers émois. Je rentrais dans la vie active. Il fallait juste que je m’habitue à être surnommée moi-même « la pionne », et trouver un équilibre entre une nécessaire autorité « Non, on ne passe pas par là » et un échange complice avec des élèves dont certains affichaient une différence d’âge très étroite avec moi-même « ça passe pour cette fois mais tu ne me fais pas le coup deux fois ».
Il était 11H27 à l’horloge du bureau que je venais de contrôler pour la cinquième fois, attentive à me positionner correctement devant les grilles du collège pour la sortie de midi.
Il était 11H27 lorsque la porte du bureau s’ouvrit à grandes volées.
Il était 11H27 lorsque je levais la tête pour découvrir, dans un brouillard d’étoiles, un éblouissement lumineux, une suffocation brutale, des mèches rousses, un sourire irréel et une voix qui, empruntant le parcours de mes veines et de mes artères, fit le tour de mon corps et implosa dans mon cœur.
« Mademoiselle Véronique ! « s’exclama Madame la Veuve Joyeuse
« Mademoiselle Véronique… » murmurai-je, béatement, sans trouver aucune autre répartie, un crayon à papier à la main, une règle plate dans l‘autre, suspendant le tracé d’un tableau que je m’étais appliquée à dessiner pour l’appel de la cantine. « Mademoiselle Véronique… »
Je venais d’avoir 18 ans et le vrai départ de ma vie de femme venait de sonner, même je n’en avais aucune conscience. C’est incroyable comme on peut ne pas se rendre compte sur l’instant de ce qui est en train de vous arriver. Votre vie vient de basculer et personne ne vous prévient, aucun indice ne vient frapper à vos neurones, aucun mode d’emploi ne se déroule devant vous.
Je mis sur le dos d’une hypoglycémie de fin de matinée le vertige qui venait de me prendre. Je crus à l’éblouissement d’un rayon de soleil ricochant sur l’une des vitres. Je ne savais pas, tout simplement, que je venais d’éprouver mon premier coup de foudre.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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