Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
22 Septembre 2009
Quand il me prend dans ses bras
Il me parle tout bas
Je vois la vie en rose...
Edith Piaf en écrivit les paroles en 1942... Personne n’était né à cette époque là et pourtant, nous la connaissons toutes. Vous voyez, de cela je suis sûre, je vous entends déjà fredonner l’air. C’est une des chansons les plus connues au monde, et dans n’importe quel pays, sur n’importe quel continent, elle est interprétée, reprise, traduite... parfois massacrée mais toujours avec une vraie, une terrible sincérité dans l’interprétation. Parce que La Vie en Rose, c’est une des plus belles chansons d’amour qu’on n’aura jamais écrite. Elle est née d’un coeur qui adore, qui vénère, passionnel, en bordure de folie et chaque mot, pourtant si simple, chaque phrase, pourtant si peu réfléchie, si peu apprêtée, nous désintègrent en milliers de particules d’amour étincelant.
Cette chanson n’est pas ma chanson préférée, mais elle a en moi un écho tout particulier qui fit que lorsque je décidais de créer ce blog, ce titre s’imposa tout naturellement à moi.
Et dès que je l’aperçois,
Alors je sens en moi
Mon coeur qui bat...
C’était il y a quelques années, une nuit qui décida de ma vie...
Le Privilège. Minuit trente. La foule se presse compacte féminine dans cette rue piétonne du 9ème arrondissement. Il fait une nuit douce, presque d’été alors que nous n’étions qu’au mois d’Avril. Cette météo clémente avait poussé tous les habitants de la ville dehors. Les bars avaient ouvert précipitamment leurs devanture et traînés leurs tables sur les trottoirs. Chacun s’interpellait, offrait un verre, buvait, se souriait. Vous devez les connaître ces nuits magiques auxquelles on ne s’attend pas et qui vous tombent dessus comme ça, par hasard, par inadvertance. Rien ne les signale durant la journée, peut-être un air un peu plus doux que d’habitude, une fébrilité ambiante qui nous prend sans qu’on y prenne garde, une envie de rester éveillé, d’ouvrir sa fenêtre, de rejoindre la rue, la vie.
J’étais déjà couchée lorsque je ressentis cette envie. Je me tournais, retournais au fond de mon lit ne pouvant trouver aucun sommeil, aucun désir de rêve, les yeux grands ouverts. J’avais éteint la télévision, trop ennuyeuse ; jeté le livre par terre, trop sérieux ; évité le téléphone, un peu tard... une fenêtre se trouvait juste en face de mon lit. Je venais tout juste d’emménager dans cet appartement sur les hauteurs de Gambetta et je n’avais posé aucun rideau. La nuit m’arrivait de plein fouet, la vue dégagée sur un ciel d’où perçaient, malgré la lumière vibrante dégagée par la ville, des centaines d’étoiles. Un avion traversait le ciel dont je pus suivre la trajectoire grâce aux feux clignotants positionnés sur le bout de ses ailes. Vert pour la droite, rouge pour la gauche. Je me dis à ce moment là qu’il y avait, dans ce petit pont de lumières des vies en transit qui, partant d’un point A pour rejoindre leur point B, allaient à grande vitesse vers leur destinée.
Mon côté stationnaire et figé n’en fut que plus douloureux et agaçant. Je me levais. Après tout, je n’étais pas entravée dans ce lit, je pouvais m’en échapper, le quitter, m’en éloigner. Je m’habillais en silence, comme si je prenais soin de ne réveiller personne. Je n’allumais pas, la lumière extérieure suffisait amplement à dessiner les ombres de ce qui m’était nécessaire : pantalon, chemisier, Doc Martens Derby en nubuc, beaucoup plus souple et fines que la paire traditionnelle.
Je voulais être confortable. Je n’avais pas d’idée précises en tête. Je voulais descendre, me retrouver dans la rue et me fondre dans sa rumeur et marcher, marcher. J’adore la marche. C’est pour moi l’instant privilégié où enfin je peux imposer le rythme de ma propre cadence et libérer ma pensée sans contrainte, sans attente, sans plus d’obligation que celle de profiter de ce qui m’entoure.
Je n’étais pas la seule à avoir eu cette envie ; les trottoirs étaient noirs de monde. On se serait cru en plein mois d’août, dans une ville festivalière, envahit par une cohorte de touristes et de curieux. Des groupes descendaient l’avenue pendant que d’autres la remontaient, se bousculant dans une ambiance bonne enfant qui donnait envie de se sourire, de se croiser, de se parler.
Je traversais la Place Gambetta, contournais le Père Lachaise et bifurquais vers la rue de la Roquette. Plus je me rapprochais de Bastille et plus la foule devenait bruyante, frémissante, sensible. Il devait faire au moins 24, 25 degrés, une température inimaginable pour la saison. Personne ne portait de manteau, tout le monde avait fait disparaître les pulls, bonnets, et vestes de laine que nous arborions encore il y à peine 48H00.
Contre un porche, dans une semi obscurité à peine voilée, un couple s’embrassait, les deux corps compressés, attirés, aimantés, n’en pouvant plus de ce désir qui les brûlaient. L’homme souleva délicatement la femme et je compris alors qu’il la pénétrait, que les amants n’avaient pu s’empêcher de se rejoindre même s’ils se savaient si peu cachés de cette foule incessante qui arpentait le quartier. Personne n’interféra. Tout le monde protégeait le couple d’une bienveillante complicité, chacun heureux pour l’autre. La femme soupira et je passais mon chemin.
Je m’arrêtais à la terrasse d’un café juste avant la place de la Bastille, à l’angle de la rue de Lappe et de la rue de la Roquette. Par chance, un petit groupe s’en allait laissant libres deux tables. Je me précipitais sur l’une pendant que la deuxième était aussitôt occupée par un couple de jeunes touristes américains. Je commandais un demi avec soif et attendais avec impatience de pouvoir le déguster.
Malheureusement pour moi, la serveuse, fort sympathique au demeurant, avait toutes les peines du monde de se faire comprendre du petit couple d’américains qui voulait passer commande également. Voyant que ce manque de communication risquait fort de différer l’arrivée de mon propre verre, je proposais mes services de traduction.
- Excuse me, can I help you ?
Je fis signe à la serveuse que j’allais me charger de prendre leur commande.
- what do you want to drink ?
Le garçon, avec un large sourire, me dit qu’il désirait un cocktail à base de rhum quant à la jeune femme, elle voulait un brandy.
- Ho, you want a cognac !
- No ! not a cognac, a brandy !
Bien, de plus en plus assoiffée et redoutant que la serveuse ne disparaisse vers d’autres tables je lui passais commande.
- un mojito pour le monsieur et un cognac pour la dame...
- ok, ça marche !
La serveuse s’éclipsa aussitôt et je priai que dans la foulée, elle n’oublierait pas ma propre consommation. Pendant ce temps, la jeune femme semblait se plaindre à son ami.
- She ordered a cognac, but I want a brandy...
Je compris que cela m’était adressé, et malgré l’agacement montant, je pris mon plus beau sourire pour m’adresser à l’américaine non polyglotte.
- In French, a brandy is a cognac.
- Ho... really ?
Oui, really... ce sont des petits choses simples, un brandy = un cognac ; une américaine à Paris = un poisson hors de son bocal...
Heureusement, je n’eus pas à soutenir ma thèse car la véloce serveuse apportait les consommations.
Je me délectais aussitôt de ma bière, si fraîche, si douce, si goûteuse... l’américaine, plus circonspecte et décidément peu facile à convaincre, reniflait avec méfiance son propre verre puis le portait sur le bord de ses lèvres. Je la regardais du coin de l’oeil espérant subitement que je n’avais pas eu tord et qu’elle n’allait pas me le jeter au travers de la figure. Mais non, chance, un sourire illumina son visage, qu’elle avait ma foi d’assez beau, et elle se retourna vers moi, me décochant une oeillade mi amusée, mi contrite.
- Excuse me, that’s a really good brandy, I mean, cognac !
Elle leva son verre à mon intention. Je fis de même et retournais à mes pensées, mon âme vagabonde, mon attention distraite, ma contemplation légère de l’agitation nocturne.
Je finissais ma deuxième bière lorsque mon voisin américain se leva cherchant visiblement à convaincre la jeune femme de le suivre.mais celle-ci semblait tout à fait décidée à rester et ne pas le suivre malgré ses exhortations. Il finit par lâcher prise, l’embrassa sur les lèvres et disparu au coin de la rue non sans m’avoir saluée avec égard et un large sourire.
Son ami à peine parti, l’américaine se retourna vers moi.
- Can I stand with you ?
Et sans attendre ma réponse, la belle abandonnant son verre vide vint s’asseoir à côté de moi, me tendant la main.
- My name is Alice !
Un peu surprise par la rapidité du fait mais connaissant déjà cette faculté toute nord-américaine de ne pas s’encombrer de préalables pesants et longuets, je lui serrais la main, me présentant moi-même. Alice héla aussitôt la serveuse, bien décidée à ne pas perdre une seule seconde pour s’installer confortablement.
- Je veux le brandy, heu, no, le cognac and.. what do you drink ? le même...
La serveuse tourna les talons avant que je n’eus le temps de répondre : un cognac ! un demi ! Alice revint aussitôt à moi, tout sourire, me dévisageant sans aucune timidité.
- I do have a question...
- Oui ?... yes...
- Are you part of the Nation ?
Si je faisais partie de la nation ? Mais de quelle nation me parlait-elle ? Je n’étais pas sûre de la suivre. Devant mon air dubitatif, elle surenchérit.
- Are you gay ?!
Ha... là j’avais compris. Je lui souris en opinant de la tête.
- I was sure of it ! Me too !
- But your friend ?...
- He is gay too ! He’s my best friend.
Effectivement, à nous trois, nous formions déjà une petite nation.
Alice semblait aux anges. Et notre conversation menait grand train avant même que la serveuse ne vienne déposer notre nouvelle commande.
Deux heures plus tard, nous marchions côte à côte, remontant après Châtelet, la rue Montmartre en direction du Privilège, la discothèque de l’époque où mon amie américaine tenait absolument à se rendre.
- I love french disco’s.
Sa conversation était très agréable, nous échangions surtout sur nos différences de vie, nos manières de voir, d’appréhender les choses, Alice ayant classé les français dans la catégorie romantico-tragique. Pour elle, un français était un passionné pour qui cela se terminait toujours mal. Je supputais que cette vision toute hollywoodienne lui tenait à coeur et ne cherchais pas vraiment à l’en dissuader. Cette femme m’amusait et commençait à me plaire, beaucoup.
Le profil de son visage était grec. Je vis au British Museum, quelques années plus tard, son sosie dans les traits d’une déesse, sculpture retrouvée dans les décombres du Parthénon. La ressemblance était saisissante. La jeune femme était de ma taille, plutôt fine, et elle était habillée avec un chic décontracté qui rendait son élégance très accessible. Elle souriait tout le temps et semblait prendre un plaisir évident à notre conversation.
Nous entrâmes dans la discothèque où je fus saluée par toute l’équipe étant une habituée invétérée des lieux... Cela ravit mon américaine qui soudain se saisit de mon bras, fière de se retrouver ainsi, dans ce lieu mythique, au bras d’une frenchie qu’on accueillait portes grandes ouvertes.
Les heures s’égrenaient, amusantes, amusées. Les verres défilaient, nous enchaînions danse sur danse. Vers deux heures trente du matin, la DJ passa une musique plus calme, plus lente et les premières mesures de La Vie en Rose résonnèrent. Alice était en transe.
- I love this song ! Come !
Elle se saisit de ma main et m’entraîna au milieu de la piste où elle me fixa de ses grands yeux clairs. Soudain, elle sembla ne plus vouloir prendre d’initiative et attendait ma réaction. Cette attention délicate me toucha. Elle me laissait faire mon propre choix. Je la pris alors par la taille et l’approchais doucement contre moi.
Des yeux qui font baisser les miens,
Un rire qui se perd sur sa bouche,
Voila le portrait sans retouche
De l'homme auquel j'appartiens
Nous dansâmes, enlacées, reprenant en coeur le refrain. Je la sentais très proche de moi. Son corps se laissait porter au son de la voix de Piaf. Son visage se coula dans mon cou. Je resserrais avec douceur mon étreinte. Je me sentais bien contre le corps de cette femme, inconnue il y a encore quelques heures. Je ne pus m’empêcher de glisser ma main sur sa nuque et de caresser sa peau, si douce à cet endroit. Je la sentis frémir et son frisson aussitôt déclencha en moi une volupté incroyable. Tous mes sens furent alertés. Elle dut le sentir et se serra encore plus fort au creux de moi.
La chanson terminée et alors qu’une house rythmée reprenait, nous continuâmes quelques pas sans pouvoir nous détacher. Elle me demanda de la raccompagner à son hôtel.
La nuit que nous passâmes ensemble, fut belle, intense, émouvante. Nous sentions bien, l’une et l’autre, que nous n’étions pas dans la simple aventure dues aux quelques heures magiques d’un été arrivé bien trop avance. Notre premier baiser, nous l’échangeâmes dehors, devant son hôtel, à l’abri d’un porche. Je repensais alors au couple entraperçu en début de soirée et à leur désir. Je me dis alors que dans cette ville surprise par un mercure ascendant, tous les porches de tous les immeubles bruissaient des milles soupirs de l’amour. Dans chacune des rues, dans chaque recoin, des couples se blottissaient pour une fusion passionnelle, une union d’amour et de serments éternels.
Dans le lit anonyme de cet hôtel, un hôtel au prénom de femme, Hôtel Christina, mon corps s’ouvrit aux caresses de l’inconnu, aux promesses de l’avenir, aux chants du bonheur. Alice était douce, prévenante, attentive. Ces baisers provoquaient en moi des morsures de jouissance, des vagues d’attentes impatientes, des cris étouffés. Je me laissais aller dans les bras de cette femme dont je ne connaissais rien et qui ne savait du français que quelques mots piochés dans les phrases d’une chanson ancienne. Je jouis tant de fois dans ses bras que j’en pleurais presque. Nous ne pûmes nous séparer et nous nous endormîmes, l’une contre l’autre, l’une dans l’autre alors que l’aube déjà blanchissait les rideaux.
Alice repartit trois jours plus tard pour New York. A l’aéroport, avant de passer en zone d’embarquement Alice me serra contre elle à m’étouffer. Nous nous embrassâmes au milieu de la foule pressée sans nous préoccuper de rien. Il n’y avait que nous, nous étions seules.
Alice planta son beau regard dans le mien, et, avec un faible mais courageux sourire, me dit :
- When I’ll be in the sky, I will sing the Piaf’s words, so my plane will become pink, like her’s.
Mais de quel avion rose parlait-elle ?!
Alice partit en fredonnant alors dans son petit français bancal: « Quand je sens mon coeur qui bat, alors je vois là-bas... l'avion rose... »
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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