Tout a commencé sous la douche. Après m’être levée à 4H00 du matin, avoir roulé pendant plus de cinq heures sur des routes improbables et animé une conférence sur l’impact de la migration monétaire internationale attachée au déficit des « funds » américains, je n’avais plus qu’une seule idée en tête : me glisser sous le jet d’une douche bien chaude et oublier pour un temps toute crispation physique, psychique, consciente et inconsciente. L’hôtel dans lequel j’étais logée se trouvait au beau milieu de nulle part comme il se doit lorsque le mot « charmant » est associé à sa description et tout espoir de trouver un restaurant digne de ce nom alentour m’avait été ôté par le staff organisateur. Nous étions lundi, à des kilomètres de toute civilisation et de toutes manières, j’étais crevée. Prudente, j’avais alors refusé l’invitation du directeur et de sa femme, très aimables il va de soit, mais à la conversation légèrement anesthésiante. J’avais donc bu l’inévitable coupe de champagne, grignoté deux, trois petits fours réchauffés et m’étais éclipsée prétextant une révision générale pour ma conférence du lendemain. J’avais repris la route et, après avoir tournicoté pendant dix minutes malgré les explications du directeur « vous allez voir, c’est très facile ! » je refermais enfin derrière moi la porte de ma chambre pour un repos des plus mérité.
J’avais jeté ma valise sur le lit, laissé mes vêtements en tas par terre et m’étais glissée, gourmande, sous la douche heureusement puissante et très chaude. La cabine était en verre, très agréable, large, plutôt étonnant pour ce genre d’endroit. C’est là que son cri m’a tétanisée.
- Qu’est-ce que vous faites dans ma salle de bain ?!
Je crois n’avoir jamais eu aussi peur de ma vie. Mes yeux piquaient du shampoing que je venais d’appliquer sur mes cheveux et dans la panique, je lâchais la pomme de douche. Je ne voyais plus rien, mon regard fermé par la brûlure et tâtonnait pour retrouver la maudite pomme qui glissait entre mes doigts.
- Bon sang, mais vous allez sortir de là oui ?!
Une seule chose me rassurait, cette voix qui m’incendiait était celle d’une femme. J’osais donc espérer que ma nudité n’était pas offerte au regard lubrique d’un mâle VRP en manque de chair fraîche. Je me ressaisissais alors, empoignais la pomme de douche et me rinçais le visage. Je pouvais enfin affronter mon agresseuse en face. Une petite trentaine, brune, le regard noir et visiblement, très en colère, la jeune femme se tenait devant moi, bras sur les hanches, bien plantée sur ses deux jambes, prête à en découdre. Evidemment, ma position semblait plus précaire. La cabine en verre transparent ne cachait pas grand chose et la buée qui se formait sur les parois ne me semblait pas suffisamment opaque pour faire barrage sur mon intimité. J’optais donc pour une décontraction ferme, coupais l’eau, ouvrais la porte et avec une voix que j’espérais posée avec un zeste d’autorité, lui réclamais la serviette de bain qui se trouvait juste à ses côtés. Je la pris en pleine figure mais l’intruse, prenant peut-être conscience de l’indélicatesse de sa présence à pareil moment, se retourna et claqua la porte derrière elle, me laissant hébétée et dégoulinante, mais seule.
Le silence retomba comme il avait été perturbé, d’un coup. Je calculais rapidement qu’en prenant le temps « normal » du séchage, j’avais au moins trois, quatre minutes devant moi pour me reprendre. Mais j’avoue qu’il m’était difficile alors de recoller mes pensées tant la scène avait été surprenante et inattendue. Il me fallait donc affronter celle qui avait interrompu par ses cris une douche qui s’annonçait délectable. Par chance, un peignoir était pendu derrière la porte dont je me saisissais. Un dernier regard sur le miroir, je relevais mes cheveux et cherchais un air de circonstance. N’en trouvant pas, j’ouvrais la porte et me retrouvais dans la chambre. La phrase vint d’elle même.
- Excusez-moi, mais, c’est vous qui êtes dans ma chambre.
- Vous vous foutez de moi ?! ça fait deux nuits que je dors là !
Un rapide coup d’œil autour de moi me convainquit de la véracité de ses propos. Effectivement, des affaires qui ne m’appartenaient pas étaient posées sur un fauteuil, un réveil trônait sur la table de chevet et des papiers avaient été dispersés sur un petit bureau. M’étais-je donc trompée de chambre ? Houps… ma pseudo tentative d’autorité commençait à se craqueler lorsqu’un éclair de lucidité traversa mon esprit troublé. La clé ! la clé qu’on m’avait remise à la réception avait ouvert sans aucun problème la porte de la chambre. Elle serait peut-être alors la preuve de ma bonne foi. J’avisais mes vêtements par terre et la clé jetée dessus. Je m’en saisissais, triomphante.
- le numéro de chambre, c’est bien le 37, non ?
- Oui…
Un rapide coup d’œil au porte-clé et j’affichais sans vergogne mon innocence.
- la réception m’a remis cette clé. Ce sont eux qui ont fait l’erreur.
Je venais de semer le trouble chez mon accusatrice qui, imperceptiblement, vacilla.
- Je ne comprends pas…c’est ma chambre…
- Ecoutez, on va descendre à la réception et mettre au clair tout ça, d’accord ?
- Oui.
Je venais de reprendre la main et n’en étais pas peu fière. Le plus négligemment possible, je ramassais mes affaires et retournais dans la salle de bain.
- Je m’habille, j’en ai pour deux secondes et nous descendons ensemble.
C’est incroyable comment le fait d’avoir revêtu mes vêtements me redonna toute confiance. Je me persuadais alors du bien fondé de ma cause et qu'il me serait aisé de démêler cette histoire au plus vite. Ce qui fût fait, mais pas vraiment dans mon sens.
- je suis vraiment désolé, Madame. Il y a eu une erreur de l’ordinateur au niveau des réservations. Madame ne devait rester qu’une seule nuit, mais a prolongé son séjour et l’ordinateur n’a malheureusement pas tenu compte de votre arrivée.
Qu’on me l’amène tout de suite cet ordinateur, que je lui massacre son processeur, fut la première de mes pensées mais la prudence me fit réagir plus neutralement.
- et bien, donnez-moi une autre chambre et vite s’il vous plaît, parce que je suis vraiment exténuée là.
Le raclement de gorge du réceptionniste ne présageait rien de bon.
- c’est que nous sommes complet, madame.
- Pardon ?
- Nous n’avons plus une seule chambre disponible.
- Vous plaisantez là.
La raclement se fit entendre de nouveau accompagné d’une déglutition douloureuse.
- Si vous voulez, je vais appeler un de mes confrères mais je crains que cela soit un peu délicat car nous avons une grande convention en ce moment et tout est réservé depuis longtemps.
- Je ne vous le fais pas dire, Monsieur. Cela fait deux mois que j’ai moi-même réservé dans le cadre de ma participation à cette convention justement.
J’essayais de rester calme comprenant que j’étais en mauvaise posture, mais mon sang commençait à bouillir. La brune se tenait sagement à l’écart, semblant attendre la conclusion de cette histoire. Je lui décochais un regard où j’oubliais de sourire.
- Vraiment ?… c’est ennuyeux… d’accord. Merci quand même…
Le réceptionniste raccrocha et avant même qu’il ne se lance dans un nouveau raclement, je lui sautais dessus.
- Alors ?!
- Je suis vraiment désolée, Madame, mais ils sont complets également. Je vous avais prévenu…
- Vous vous foutez de moi ou quoi ?
Je sentais bien que je commençais à perdre contrôle.
- Si vous voulez, je peux appeler des hôtels à Tours. Ils auront peut-être…
- A Tours ?! mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse à Tours ?! c’est à 80 bornes d’ici ?!
J’étais, je pense, sur le point de commettre l’irréparable lorsque la brune s’immisça dans la conversation.
- Excusez-moi, mais, si vous voulez, on peut partager ma chambre. Enfin, sauf si ça vous dérange. Je me sens un peu responsable étant restée plus longtemps que prévu…
Au vu du soulagement qui semblait envahir le réceptionniste, je compris que c’était sans doute ma seule chance de dormir au chaud ce soir. Je soupirais avec rage mais m’avouais vaincue.
- Rassurez-vous, nous ne vous compterons pas cette nuitée…
A mon regard, le réceptionniste préféra taire son élan de générosité commerciale.
…
- Si vous le permettez, je vais prendre une douche, ma journée a été longue également.
Avant de disparaître dans la salle de bain, la brunette se retourna vers moi et me tendit la main.
- Excusez moi, mais je n’ai pas retenu votre prénom ? Moi c’est Virginie.
- Enchantée.
Je n’avais pas envie de rappeler mon nom. Et si cette brune faisait partie de la convention ? Je n’avais pas envie qu’elle aille colporter je ne sais quoi à mon sujet. Par exemple, il m’arrive de parler la nuit. Et si je racontais des incongruités… je donnais le premier nom qui me passait par la tête.
- Pamela.
- Pamela ?
- Oui, enfin, mes amis m’appellent Christine.
- D’accord.
La brune referma doucement la porte derrière elle. Je crus soupçonner un petit sourire sur ses lèvres. J’étais de mauvaise humeur. Les effets de la douche s’étaient dissipés avant même d’avoir vraiment agi. J’avais la nuque douloureuse comme à chaque fois que je conduis trop longtemps et la journée en station debout n’avait rien arrangé. Je m’installais lourdement au fond d’un fauteuil et pendant que l’eau de la douche résonnait derrière la porte, j’allumais la télévision. La zapette ne fonctionnait pas. Refusant de me lever, j’ingurgitais avec peine un documentaire sur les escroqueries à la carte bleue en bougonnant que vraiment, les gens sont idiots de donner leur numéro à n’importe qui, juste parce qu’on leur demande.
- Vous voulez manger quelque chose ?
La brune, pardon, Virginie, était revenue dans la chambre. Elle portait un tee-shirt et un petit caleçon qui, pour être honnête, lui allait plutôt bien. Elle avait de très jolies jambes, fines, musclées, et un bronzage léger laissait deviner qu’elle était partie en vacances récemment. En ce mois frigorifiant de février, cela lui donnait un côté sportive chic, style « je me suis payée des vacances dans les îles pendant que les autres trimaient. » Pas sûr que cela allait me mettre dans de meilleures dispositions, moi qui n’étais pas partie depuis deux ans.
- Vous savez, ça m’étonnerait qu’il y ait un room service ici.
- Détrompez-voud ! je l’ai utilisé hier soir. Leur club sandwich est même délicieux.
Un léger gargouillis dans mon estomac me fit prendre une décision rapide. Je jetais alors un œil à la carte que Virginie m’avait tendue.
- Prenez-ce que vous voulez. C’est pour moi.
- J’ai les moyens de me payer un repas, vous savez !
- Ce n’est pas ce que je voulais insinuer. Je voulais juste rattraper mon attitude un peu agressive de tout à l’heure.
Décidemment, cette petite brune semblait douée d’une dose de diplomatie à toute épreuve et depuis son irritation première, était devenue douce et cordiale. A côté, j’apparaissais comme l’affreuse rébarbative et bougonne, incapable de baisser les armes. Il fallait que je reprenne le dessus. Je me saisissais alors du téléphone. L’action a toujours été chez moi un moyen de contrôle.
- Bonsoir, chambre 37, pourrions-nous avoir deux clubs sandwiches, une salade fruits rouges et pour boire…
- Champagne ?…
- Champagne.
Virginie semblait, en plus de sa gentillesse, se poser comme une bonne vivante qui sait ne pas rater les occasions bénéfiques. Cela me détendit aussitôt. Je raccrochais. Elle s'adressa aussitôt à moi.
- Merci.
Je la regardais un peu étonnée.
- Pour votre sourire. Je commençais à désespérer.
Les sandwichs furent avalés avec bonheur. Ils étaient effectivement délicieux. Le champagne était à juste température et je regrettais presque que nous en soyons venues à bout aussi vite. Devrais-je recommander une deuxième bouteille ? Cela ferait peut-être un peu trop alccolo de service. Il valait mieux s’arrêter là et rester digne. Et puis, de toute façon, Virginie nous rappela à la réalité.
- Tu as vu l’heure qu’il est ?!
- Minuit et quart ? J’ai pas vu le temps passé. Merde ! pardon…
- Il y a un problème ?
- Non, mais je devais relire mes notes pour demain. J’ai une conférence importante. Je ne voudrais pas me planter.
Virginie me regarda un petit moment avant de me répondre, comme si elle voulait peser chaque mot.
- Je suis sûre que tu n’en as pas besoin et que tu te débrouilleras très bien. Ne t’inquiètes pas, tu garderas le contrôle.
A quel moment de la soirée en étions-nous venues au tutoiement, je ne m’en souvenais guère, mais je devais bien reconnaître, au fond de moi, que mon besoin de maîtrise qu’il soit professionnel ou personnel, me donnait toujours tendance à trop en faire. Après tout, notre jolie brune avait raison. Je connaissais par cœur mon plan et n’aurait aucun mal à délayer la sauce pendant deux heures.
- Côté gauche, ou côté droit ?
- Pardon ?
- Tu préfères dormir de quel côté ?
Dans la précipitation du moment, un détail m’avait échappé. Dans la chambre, il n’y avait qu’un seul lit.
- heu, je sais pas, peu importe. Gauche ?
Virginie se coula dans les draps, côté droit, se saisissant de son réveil afin d’en régler l’alarme. Ces gestes étaient fluides et malgré une certaine délicatesse, exprimaient de la puissance. Je me demandais quel sport elle pouvait bien faire pour être ainsi musclée. Natation ? Course ?
- Je me lève à 6H30. Ca te va ?
- Parfait pour moi.
Je me rendais bien compte que j’aurais en fait beaucoup de mal à me glisser moi-même dans le lit. Une espèce de pudeur m’envahissait et je m’éclipsais dans la salle de bain avant que Virginie ne décèle mon trouble.
Bon, d’accord, cela ne serait pas la première fois que je me coucherai auprès d’une femme. Mais pas dans un contexte pareil où il me fallait m’allonger auprès d’une inconnue, aussi charmante soit-elle, sans autre intention que celle de passer une nuit de repos réparatrice. Sans autre intention ? Mon trouble croissant commençait à allumer en moi tous mes signaux d’alarme. Cette fille me plaisait. Il n’y avait aucun doute maintenant. Mon cœur se mit à battre un peu fort et le rouge me monta aux joues. Je devenais une vraie carte postale bien lisible. Encore une fois, je me jetais dans l’action et revins dans la chambre. Chance, Virginie avait éteint le plafonnier et seule une petite lampe de chevet éclairait la pièce. Je me glissais au fond des draps, sans un mot, faisant bien attention de ne surtout pas frôler le corps de la jeune femme.
- Bonne nuit, alors.
C’est tout ce que je sus dire. Virginie ne répondit pas. Peut-être dormait-elle déjà. J’en avais l’espoir. Sa respiration était calme et régulière. Le lit n’était pas très large et je sentais la chaleur de sa présence. Je tournais la tête de l’autre côté mais n’osait pas bouger plus, de peur de la réveiller. J’aurais voulu être morte. J’étais en ébullition. C’était un véritable supplice.
- Christine, ou Pamela, ou qui que tu sois…
- Oui…
- Tu crois au hasard ?
- Non.
Je me retournais vers elle qui me regardait. Je sus à cet instant précis ce que je devais faire. Et je le fis.
Il y a des ondes de jouissance qui n’en finissent pas de vous faire frémir. A l’aube, sou la douche, je caressais encore ma jolie brune qui s’offrait à moi pour le énième fois de la nuit. Nous n’avions pas fermer l’œil. Nous nous caressions à n’en plus pouvoir. J’avais l’impression que nous n’arriverions jamais à calmer ce désir qui nous brûlait, nous tenaillait le ventre, nous poussait toujours plus loin, l’une dans l’autre, nos lèvres scellées l’une contre l’autre, nos langues se mêlant sans fatigue, redoublant l’envie que nous avions de continuer, de ne jamais calmer cette fièvre qui nous portait à bout de souffle. Je jouissais encore sous les doigts de mon inconnue. Je n’en pouvais plus. Je l’entraînais sur le lit, dans le chambre. Je la couchais sous moi. Je la regardais. Je glissais sur elle. J’écartais ses cuisses fuselées, si douces, si chaudes, encore toutes mouillées de la douche, de son désir. Je l’embrassais au bord de cette intimité que j’avais explorée et fouillée tant de fois cette nuit, mais que je redécouvrais comme un eldorado qui s’offre lorsqu’on ne s’y attend plus. Virginie, Virginie, la terre d’un nouveau monde. L’orgasme nous saisit ensemble, comme l’incroyable don de nos ferveurs.
Dans la pièce d’à côté, l’eau de la douche que nous n’avions pas pris le temps de couper, résonnait toujours en cascade.
…
- Bâtiment B, deuxième étage.
- Merci.
Je montais les marches vers l’amphi qui devait recueillir ma conférence. Mes jambes étaient dans du coton. J’avais envie d’un café brûlant. Mon corps tressaillait de ses petits piques de plaisir qui venaient encore m’assaillir. Je devais avoir l’air d’une déterrée. L’amphi était plein. J’avais un petit quart d’heure de retard. Je me dépêchais vers le bureau central en espérant, qu’aux premiers rangs, mes trais tirés ne donneraient pas l’indication de ce à quoi j’avais passé la nuit. Je pris une profonde respiration et je commençais mon exposé.
Je ne la vis pas tout de suite. C’est quelques instants plus tard, lorsque après avoir repris confiance en moi, je levais enfin les yeux vers l’assemblée, que je découvris ma Virginie au milieu de l’auditoire. Elle me regardait attentive et souriante, prenant des notes d’un air un peu grave. Lorsque je l’avais quittée sur le parking de notre hôtel elle ne m’avait pas laissé ses coordonnées. J’en avais été un peu froissée, tout en sachant bien que les rencontres de la vie étaient ainsi, furtives.
Avant de démarrer, elle m’avait lancé, dans un dernier sourire fiévreux, cette énigmatique phrase.
- Tu m’as dit hier que tu ne croyais pas au hasard, n’est-ce pas?
- Oui c’est vrai.
- Et bien tu as tord.
Et depuis combien de temps, petite Virginie, savais-tu que le hasard fait aussi bien les choses ?