Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne

Sens dessus dessous

Elle a posé son index sur ma bouche. Pour que je ne parle pas, pour que je me taise. Sa main sur mon épaule m’empêche également de bouger. Elle ne me regarde pas, mais fixe un point derrière moi. Quoi ? je ne sais pas. Qui ? je n’en sais rien. Que veut-elle faire ? Qui veut-elle écouter ? Des yeux de qui cherche-t-elle à disparaître ? Si encore je la connaissais, je pourrais peut-être le lui demander. Mais elle a surgi devant moi sans crier gare, comme un renard sort du bois, pour me prendre dans ses griffes. Pour autant, je ne sens pas la proie mais plutôt un rempart. Elle a le regard gris clair, le cil long, la bouche fine. Ses narines se pincent au rythme de son souffle un peu court, qui se retient, en apnée dans sa pose attentive. Mais qui donc est-elle ?

Je ne l’avais pas remarquée jusqu’à présent. Il faut dire que le monde est tel qu’il devient presque impossible d’avancer, encore plus de rejoindre la piste de danse. Il fait très chaud, un peu moite. Dehors, l’orage rôde certainement encore. J’essayais d’atteindre le bar lorsque sa main, son doigt, toujours sur mes lèvres, m’arrêtèrent. Il n’y a aucune autorité encore moins d’agressivité dans ce geste, mais je sens intimement que m’y soustraire serait une erreur, presque un manque de tact, voire une non assistance, même s’il apparaît clairement qu’elle n’a l’air d’être ni en danger, ni de craindre qui que ce soit.

Nous sommes de la même taille. Je la fixe d’un regard étonné, un peu amusé aussi. Son attention est telle que si je bougeais pour mettre quelqu’un d’autre à ma place, si elle ne me retenais pas, elle n’y verrait que du feu. Soudain sa main glisse, de mon épaule à mon coude, pendant que sa tête, doucement se tourne. A l’attente de son regard, je frissonne. Elle me sourit en plissant le front dans une attitude mi enfantine, mi penaude. Elle écarte sa main de mon visage et de perdre le contact de ses phalanges me désole.

- Merci.
- Mais… de rien…

Ma réponse me semble horriblement plate mais l’émotion qui m’envahit à ce moment précis m’empêche soudain de libérer ses phrases spirituelles et mutines dont je suis friande.

- je t’offre un verre ?

J’ai du répondre oui. Nous sommes au bar, accoudées, ou plutôt compressées au comptoir, tentant désespérément d’attirer l’attention de serveurs plus soucieux de donner le change à de petits minets énamourés, que de servir rapidement une clientèle assoiffée. Quelqu’un pourra-t-il m’expliquer pourquoi il n’y a plus de serveuse dans les bars pour filles ?! Si c’est une espèce en voie de disparition, qu’on me le dise et j’organiserai, promis, un casting pour y remédier. Mais qu’on nous rende nos belles, derrière nos bars ! Nos verres arrivent enfin et nous trinquons.

La musique est si forte, la foule si compacte et criarde qu’il semble improbable de pouvoir tenir une conversation. Je me tend vers elle pour essayer de lui glisser pour la troisième fois mon prénom au creux de l’oreille, mais mes lèvres, en lieu et place de mots, trouve alors un baiser qui me foudroie sur place. Je savais que le prénom « Martine » était très sexy, mais à ce point là…

- pardon.
- Mais… de rien…

Décidément, il va falloir que je renouvelle mon stock de réponses si je ne veux pas passer pour une totale idiote. A ma décharge, la soudaineté de ce baiser avait de quoi, il faut bien l’avouer,  me laisser coite. Mais qui donc est cette fille qui se jette sur moi, m’immobilise, puis m’embrasse en un peu moins de dix minutes ?

Son regard scrutateur vers la foule qui se déhanche m’apporte une suspicion de réponse. Parions qu’elle est en train de mâter son ex et que son attitude par rapport à moi n’est là que pour donner le change. Je retombe un peu lourdement sur terre.

- tu veux faire enrager ta petite copine, c’est ça ?

Mélanie, car tel est son prénom, me regarde étrangement comme si le fait qu’on puisse la dévoiler ainsi tenait à ses yeux de la mission impossible. Elle se met à bredouiller, baisse les yeux, laissant s’évanouir des mots d’excuses dans le brouhaha ambiant. Mais elle a l’air sincèrement désolée et cela me suffit à lui pardonner. Je ne suis pas mauvaise fille bien que mon amour-propre en ait pris un léger petit coup au moral.

- je ne voulais pas.. enfin, je…

Je l’interromps, pétrie de ma grandeur d’âme.

- ce n’est pas grave.

Après tout, si les copines m’ont vue embrasser cette charmante créature, je n’aurai pas tout perdu dans  cet échange. Comme cette charmante jeune femme rousse qui se plante devant moi. Cette fois, je n’en ai plus aucun doute, c’est ma soirée. Je commence à lui sourire en m’apprêtant à lui laisser ma place contre le comptoir lorsqu’elle me balance une gifle, pesée, calibrée, et sans amorti. J’en ai le souffle coupé et la répartie définitivement annihilée. J’ai compris, c’est l’ex, inutile d’aller plus avant dans les présentations.

J’attendais de la part de la si charmante Mélanie un peu de soutien mais celle-ci m’abandonne, rouge de colère, ou de honte, et disparaît tout au milieu de la foule…la rousse ne bouge toujours pas et me fixe du haut de son mètre quatre vingt et quelques, furibarde et prête à en découdre. J’esquisse un pâle sourire en dépit de la rougeur que je sens monter sur ma joue gauche. Je tente un début d’explications.

- Les apparences sont parfois trompeuses…
- Connasse !

La rousse disparaît à son tour. L’heure est venue de faire un bilan. Je viens d’être jouée, manipulée, frappée et plaquée en l’espace d’un single remixé, le tout sous le regard goguenard de quelques habituées me saluant de loin. Heureusement, il me reste la moitié de mon verre à finir. Je l’avale dans la seconde, la gorge nouée. Je manque de m’étrangler. Le verre est vide. Ne me reste donc plus que le dépit.

C’est l’été et ça tombe bien. Je n’ai pas à repasser par le vestiaire. L’air toujours lourd au dehors m’écrase les épaules. Je remonte le boulevard au milieu d’une ivresse généralisée. Je ne pensais pas finir la soirée comme ça, regagnant mon appartement l’air morose et la lèvre légèrement coupée. Un grondement souterrain m’indique qu’il y a même encore des métros ! Mais l’idée de me plonger dans la lumière crue du quai me détourne d’un retour rapide. Et puis j’adore marcher. Cela me calme généralement, la marche agissant comme une petite drogue douce qui vient peu à peu apaiser de lourdes pensées et chasser une tristesse qui tente de s’installer malgré moi.

Mais il y a toujours plus triste que soi. Dans un encoignure de porche, Mélanie, tassée contre la porte, pleure. Un rapide coup d’œil alentour me confirme qu’il n’y a pas de cheveux rouges dans les environs proches.  Dois-je m’arrêter ? Un vif rappel de piqûre d’amour propre me donne envie de passer mon chemin. .. Mais encore une fois, je ne suis pas mauvaise fille et la détresse ne me laisse jamais de marbre,

- Ca va pas ?

Mélanie me reconnaît et pleure de plus belle. Ce n’était pas vraiment l’effet escompté. Un peu maladroitement, parce que nous n’avons aucune intimité, je viens vers elle et la prend dans mes bras. Je ne suis pas sûre qu’il faille parler. Et puis, jusqu’à présent, je n’ai pas été très brillante. Alors je la berce doucement, recueillant ses pleurs qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter. Entre deux sanglots, elle tente une explication. A mon tour, je porte mon index sur ses lèvres et lui sourit. Les derniers sanglots se tarissent, Mélanie reprend son souffle et ébauche un vague petit sourire. Nous nous regardons, Mélanie apaisée, moi, intriguée. Cette fois, son sourire se fait de plus en plus franc. Elle me plante son regard gris clair dans les yeux comme un appât dont je ne peux me détourner.

- Je suis vraiment désolée pour tout à l’heure.

Mais l’heure, à mon goût, n’est pas aux explications. Ce regard, cette fièvre que je sens en elle et qui me gagne, l’envie de ses lèvres qui murmurent et me sourient font basculer le peu de clarté qu’il me reste. Je n’ai presque pas à me pencher tant nous sommes proches. Nous échangeons un nouveau baiser, débarrassé de toute timidité. Mélanie entrouvre sa bouche et glisse sa langue entre mes lèvres qui s’écartent. C’est un long baiser salé, argentin, nos deux corps chavirant dans un tango qui nous déborde. Une minute, deux minutes, trente secondes ? je ne sais pas combien de temps a duré cette étreinte mais elle fut suffisante pour déclencher et provoquer une onde de plaisir au bord de la jouissance.

Chancelantes, nous avons peine à nous détacher l’une de l’autre. Je fais un pas en arrière, un peu à regret ? Mélanie compose le code et pousse le lourd battant en bois du porche. Je ne fais pas un geste pour la suivre. Elle ne s’attend pas à ce que je l’accompagne.

- Bonne nuit et essaie de discuter avec ton amie. Ça peut peut-être s’arranger.
- Mon amie ? tu veux parler de la grande rousse ? mais je ne la connais pas, moi. Bonne nuit à toi.
.
Il y a des moments dans la vie de grande solitude où la difficulté de trouver un sens aux choses paraît des plus aléatoires et complexes. La porte du porche se referme sur Mélanie et mon incrédulité. Je sens confusément que je ne démêlerait jamais le fil de cette soirée.

Prudente, je décide de regagner mon chez moi en métro.
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À propos
M. T.

Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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V
il ni a pas que la femme qui est complexe ,l'amour semble si simple et pourtant
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M
<br /> <br /> Mais l'amour est simple !... d'accord... et compliqué, très compliqué... En fait, je pense que l'amour est simple dans ses évidences. On sait qu'on aime. C'est une sensation, un ressenti. Et puis<br /> on analyse, on réfléchit, on veut comprendre, maîtriser, et là, souvent, tout nous échappe. Mais comment faire autrement ? Comment croire qu'on puisse aimer sans y penser ? Mais il y a une chose<br /> dont je suis sûre, il ne faut pas que l'incertitude des choses, des situations, de l'avenir nous empêche d'aimer. Ca, jamais !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Illustre bien la complexité de comprendre les femmes..<br /> qui ne se comprennent pas elle même le plus souvent =)<br /> (je parle pour moi surtout, loin de moi l'idée d'insinuer quoique ce soit sur mon entourage féminin XD)
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M
<br /> C'est ce qui fait toute la beauté de l'autre, cette incertitude, cette incompréhension, parfois. Cela donne un mystère qui charme et donne envie de saisir cette complexité et de la démêler, d'aller<br /> au delà des apparences, de trouver la clé. Cela n'est pas spécifique aux femmes mais elles sont si riches et captivantes qu'on peut aisément en perdre tout discernement. Mais quel plaisir alors de<br /> poursuivre et enfin comprendre...<br /> <br /> <br />
K
Trés joli texte en effet
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J
Intéressant...bien écrit
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