Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
13 Septembre 2009
Plus je ralentissais le pas, plus j’avançais vite. Le pont avalé, j’avais survolé la Place Saint Michel sans prêter attention à sa foule hétéroclite, bigarrée et bruyante. J’avais bifurqué rue Saint André des Arts. Je savais que je raccourcissais en passant par là. J’aurai dû continuer rue Danton et rejoindre le boulevard Saint Germain, la Place de l’Odéon. Je n’y arrivais pas. J’avais finalement mis moins de dix minutes pour rejoindre ma destination. Je n’étais même pas essoufflée. J’avais arrêté de respirer. Mon attention gourmande n’avait, cette fois, pas été captée par la délicieuse odeur émanant des crêperies. Je n’avais pas rêvassé devant les vitrines. Je n’avais pas souri à l’antiquaire fumant sur le pas de sa porte. Je m’étais à peine excusée lorsque j’avais trébuché sur cette pauvre Anglaise sortant du pub, à l’angle du passage de l’Ancienne Comédie. J’avais plongé directement dans la rue de Bucy pour me crasher devant la terrasse du café. Soudain, je la cherchais du regard. Soudain mon cœur se déchirait. Soudain, je n’avais plus de jambe, plus de regard, plus d’ouïe. Je me figeais devant les tables dressées, bien ordonnées, aux chaises en osier bicolores, je me rigidifiais, je me statufiais. Le coup de klaxon furieux d’un maraîcher empêché de se garer devant son étal par une blonde arrogante manoeuvrant son 4X4 étincelant me fit brusquement sursauter et revenir à l’instant, dans cette rue, devant cette terrasse. Où était Barbara ? je ne la voyais pas. Si jamais elle ne se présentait pas, cette fois, je jurais en mon for intérieur que j’allais… Je n’eus pas le temps d’aller plus loin dans ma pensée. Barbara se dirigeait vers moi, le visage fermé, le pas vif. Elle murmura à peine un bonjour auquel, ma gorge nouée, fut incapable de répondre.
J’allais, néanmoins et bêtement, lui demander de m’excuser pour ce non-retard lorsqu’elle me saisit par le bras, me fit faire volte-face et m’entraîna dans la rue de Seine puis me fit tourner rue Jacob. Je sentais qu’il eût été stupide de ma part de lui demander où elle comptait m’emmener ainsi d’une allure aussi vive. Elle ne disait rien et courait presque. J’osais un coup d’oeil de profil. Elle était belle, d’une beauté discrète. Il n’y avait rien d’ostentatoire chez elle. Elle était très légèrement maquillée, portait une petite chaîne en or autour du cou, et le tailleur qui dessinait ses formes rendait sa silhouette comme inaccessible. Ce qui charmait surtout chez elle était ce qu’il émanait de son visage oblong encadré par des cheveux châtains plutôt foncés. C’était donc cette femme qui, pendant des semaines, des mois, avait enflammé mon esprit, mon âme et aussi tout autant embrasé mon corps. Elle ne souriait pas, semblait même presque sévère. Cela me donna une folle envie de l’embrasser. Comme si elle avait senti cette envie de baisers, elle s’arrêta tout net et se retourna vers moi. Son mouvement fut si brusque que je manquais de la heurter. Je me récupérais tant bien que mal, les jambes flageolantes et cette fois proche de l’asphyxie. Je voyais qu’elle allait parler. Je décidais de continuer mon apnée encore quelques instants pour ne pas me distraire de sa parole.
- Écoute- moi bien Martine (aïe, ça commençait mal…) ce que je vais faire, je n’ai pas le droit de le faire. C’est même contre toute déontologie et je me mets en danger moi-même à te dévoiler tout ça. Je te demande juste une chose. Tout ce que tu vas voir, tout ce que tu vas apprendre, tu le gardes pour toi, c’est bien compris ?! Tu ne le répètes à personne !
J’opinais de la tête, incapable de sortir un seul mot, essayant juste de me convaincre que si je n’aspirais pas une bouffée d’air dans la seconde, j’allais perdre connaissance et me ratatiner sur ce trottoir, au pied de la mystérieuse et décidément bien intrigante Barbara.
Heureusement pour moi, Barbara me tourna le dos pour composer le code d’accès de l’immeuble devant lequel nous nous étions arrêtées. J’en profitais pour remplir mes poumons d’air, proche de la cyanose. Elle poussa le lourd porche qui venait d’être ainsi libéré et le franchit. Je la suivis. Nous nous retrouvâmes dans une agréable et charmante cour ombragée par un magnifique et centenaire platane. Cet arbre était incroyable tant par sa hauteur que par son envergure. Je me demandais même s’il n’avait pas été planté avant les constructions qui s’étaient alors articulées autour de lui. Il semblait être le maître des lieux, mais un maître apaisant, protecteur, serein. J’aurais aimé avoir plus le temps pour en savourer toutes les arabesques mais Barbara, à nouveau, réclamait mon attention.
- Tu sais, j’ai hésité longtemps avant de t’emmener ici. A vrai dire, il n’y avait aucune raison que je le fasse. C’est comme ça, on le sait. C’est la règle et je ne peux pas m’amuser à la briser, mais…
- … mais ?… (je commençais à me reprendre)
- Mais ton email de la nuit dernière m’a convaincu qu’il fallait que tu saches, qu’il fallait te donner les clés pour que tu comprennes, enfin.
Les clés ? Mais de quelles clés me parlait-elle ? Que devais-je donc apprendre de si étonnant ?! J’étais de plus en plus perdue et butais et revenais sur le début de sa phrase, son allusion à mon email, cet email dont je n’avais aucun souvenir. Qu’est-ce que j’avais bien pu lui raconter pour susciter enfin sa présence et cette espèce de jeu de piste dans lequel elle m’entraînait et auquel, vraiment, je ne comprenais rien. Que voulait-elle me faire découvrir qui la bouleversait tant ? Allait-elle m’entraîner enfin vers un lieu délicieux qui allait adoucir toute cette attente fiévreuse et nous jeter dans les bras l’une de l’autre ? Allait-elle enfin m‘avouer son désir de moi, son envie de moi et me couvrir de ses baisers les plus violents et de ses caresses les plus intimes ? Allait-elle me faire soupirer, gémir, abattre mes dernières réticences (s’il m’en restait encore), et me soumettre à son désir ? Allais-je enfin pouvoir glisser ma main de ses lèvres à ses seins, de ses seins à son ventre, de son ventre à ce trésor juteux que ses lèvres intimes protégeaient, lèvres que j’imaginais alors légèrement gonflées, délicatement mouillées, capiteuses et sucrées ? Une onde de plaisirs me traversa, de haut en bas mais que je stoppais net. Je doutais fortement du bien fondé de mon espérance.
- Tu me le promets ?
- Pardon ?
- Tu me promets que tu ne diras rien, à personne, jamais ?
Dans ses yeux pointait une note d’inquiétude. J’aurai juré n’importe quoi pour l’effacer et les faire sourire.
- C’est promis.
Après encore une petite seconde d’hésitation, elle sembla se décider. Elle me prit le bras.
- Alors, viens.
Sa main était chaude autour de mon bras. Sa voix m’enluminait le cœur. Je l’aurais suivie au bout de ses mondes.
Barbara abaissa le loquet d’une petite porte en fer, vitrée, du type de celles qui habillent les bâtiments de l’ère industrielle du XIXe siècle, ces ateliers conçus de briques rouges, de structures d’acier et de larges pans vitrés, ici, opaques, pour qu’on ne puisse en voir l’intérieur. Passant devant moi, saluant une standardiste sur sa gauche, Barbara remonta un couloir blanc, plutôt étroit, sans porte, qui semblait déboucher, dans un halo de lumière vive, vers une pièce beaucoup plus grande d’où provenaient des rumeurs calmes et un bruit répétitif, que je n’arrivais pas à reconnaître, et qui semblait être repris en écho des dizaines de fois. Tap, tap, tap, tap...
Etait-ce vers le paradis que Barbara m’entraînait ? ou bien mon enfer ?
Au milieu du couloir, alors que je ne discernais encore rien de ce qui m’attendait, Barbara se retourna vers moi et me fixa d’un regard pénétrant, étrange. J’eus l’impression qu’elle hésitait une dernière fois, au bord de l’inévitable, à la virgule près du non-retour. Elle prit une respiration, profonde et lente semblant signifier sa décision. L’expression de son visage, jusque-là grave, se détendit et ses traits se muèrent en une expression aimable. Elle se métamorphosa sous mes yeux en une charmante personne, attentive, concernée. Mais ce ne fut pas moi qui reçus ses attentions. Comme je l’avais imaginé, la pièce était grande, arrangée façon loft, et inondée du soleil qui filtrait par la verrière. Des bureaux avaient été agréablement agencés, chaque poste de travail encadré de plantes vertes, hautes, aux larges feuilles qui donnaient à ce lieu, une ambiance de serre, de jungle tropicale. A chaque poste, un ordinateur, devant chaque ordinateur, un collaborateur, principalement des femmes, concentrées sur leur écran. Les tap, tap, provenaient de ses dizaines de doigts qui s’agitaient frénétiquement sur les claviers. La plupart d’entre elles portaient un écouteur d’où s’échappait, non pas comme je l’aurai imaginé, de laborieux et ennuyeux courriers dictés, mais de la musique ! J’en percevais des bribes, au fur et à mesure que je traversais moi-même la pièce, suivant à distance respectueuse Barbara qui, passant de bureau en bureau, s’enquérait de l’avancée d’un dossier, donnant un conseil, rendant un avis.
- Non, évite de marquer cela, c’est trop ambigu, ça va créer un malentendu… (se rendant à un autre poste) Tu as quel abonné, toi ? ha oui…c’est bien lui, hein ? il marche fort. Tu continues, il faut ne pas le lâcher !
- Est-ce que je dois passer en zone X ?
- Ca fait combien de temps qu’il est là ?
- Deux semaines.
- Il a fait des propositions ?
- Non.
- Alors tu attends. Sauf si tu vois qu’il se relâche.
Je n’osais pas trop scruter les écrans mais mourrais d’envie de découvrir ce dont il retournait. J’envoyais de petits sourires timides, un peu gênés lorsque je croisais un regard. Je suivais Barbara qui continuait son inspection. Elle s’arrêta devant un nouveau poste et se retourna vers moi. Le sourire avait disparu, la voix se fit presque glaciale.
- Je ne vous présente pas ?
- Martine ?!
Elle se tenait devant la porte ouverte d’un bureau séparé des autres par des vitres sur lesquelles étaient rabattus des stores en bois clair. Son injonction remit mon corps en branle. Je me dirigeais vers elle pendant qu’elle s’adressait aux membres de l’équipe.
- Qui s’occupe de l’Avion Rose, aujourd’hui ?
A cette phrase, je sursautais et retrouvais, presque, mes capacités intellectuelles. Comment ça, qui s’occupait de l’Avion Rose ? C’était quoi ce délire ? Une main se leva de derrière l’un des ordinateurs, celle d’un homme qui se désigna.
- c’est moi, Mireille.
Mireille ?!
- Tu le transfères chez moi, s’il te plaît ?
- Je n’ai pas fini le commentaire…
- Ce n’est pas grave, tu signes et tu envoies.
- Ok, ça marche !
Barbara (Mireille ?!) me fit alors signe de la rejoindre dans son bureau. Elle referma la porte derrière moi coupant ainsi le son des tap, tap et nous occultant à la vue des autres. Je sentais que l’agacement qui montait en moi cachait sans doute, une énorme colère dont je présageais très bien de l’ampleur.
- attends, c’est quoi ce truc ?! qu’est-ce que ça veut dire ?! je suis où là ? tu es qui, toi ?! qu’est-ce qu’il fait avec mon blog, lui ?!
- Assieds-toi, s’il te plaît.
La voix de la nouvellement nommée Mireille s‘était adoucie tout en gardant une certaine fermeté, mais je restais debout, devant elle, prête à en découdre. Pendant ce temps, elle tapotait sur son clavier.
- Tu peux venir voir, s’il te plaît.
Non ! Je voulais juste savoir. Mais je jetais malgré tout un œil à l’écran. Stupéfaite, je découvris alors mon blog. Instinctivement, je baissais la voix comme si je voulais m’assurer que personne n’entende un seul mot sur mon secret univers d’internaute.
- Vous regardez mon blog ?.. au boulot ?
- C’est notre boulot de regarder ton blog.
- Pardon ?
- C’est notre travail. Tu es ici dans les locaux de la plateforme web où est logé ton site. Nous sommes chargés, entre autre, d’effectuer les maintenances, d’améliorer les flux, de positionner la visibilité de chacun… nous assurons aussi un rôle de modérateur. Nous faisons en sorte de ne pas laisser publier de posts injurieux, racistes, inconvenants…et enfin… enfin, nous sommes chargés de fidéliser et d’ancrer les administrateurs des différents blogs chez nous, sur notre plateforme et en faire ainsi profiter nos annonceurs.
Je désignais un fauteuil.
- Je peux ?
- Je t’en prie.
Je m’affalais, tombais, me liquéfiais, m’anéantissais dedans. Barbara reprit.
- Lorsque nous remarquons que l’activité d’un blog diminue, nous… « stimulons » alors son auteur par des échanges de commentaires, des tchats, en essayant de l’intéresser à d’autres blogs, pour qu’il crée des liens, en résumé, pour lui donner envie de rester connecté et de poursuivre son activité…
Barbara se tut, me laissant sans doute le laps de temps nécessaire à digérer l’information. Car ce qu’elle venait de me dire était en train de déchirer les maigres neurones encore aptes à fonctionner et ceux qui n’avaient pas encore totalement démissionné.
- Attends, je ne comprends pas… Tu veux dire que, les commentaires, tout ça, c’est du bidon ? Tous ces échanges ? Toutes ces discussions ? Toutes ces connexions ? C’est que du vent ?! Il y a juste un bureau de merde derrière qui te manipule pour pouvoir placer sa pub chez toi ?!
- Non, je te rassure.
- Tu vas avoir du mal !
- Tout n’est pas fictif sur ton blog. Bien sûr, qu’il y a de vrais internautes qui s’y connectent et avec qui tu échanges, vraiment. En fait, il sont tous bien réels, tous sauf un…
- Barbara ?
- Barbara…
- …mais alors, rien de notre…rien de ce qui a été échangé entre moi et cette Barbara n’était vrai ?
- Pas exactement, disons que nous placions ce qu’il nous semblait t’intéresser, selon les envies que tu pouvais exprimer ou qu’on pouvait déceler dans tes textes.
- Attends, c’est de la manipulation, ça !
- On allait juste dans ton sens. Et on a eu raison, regarde ton audience, elle a littéralement explosé depuis quelques temps.
- Mais je me fous de mon audience !
- N’oublies pas, toi-même était d’accord sur le fait que ces échanges étaient tous basés sur des jeux, des joutes littéraires et intellectuelles. Rien de plus. Lorsque tu te tournais vers Barbara, tu cherchais une stimulation…mais il n’y avait aucune réalité derrière tout cela, aucune connexion avec le monde de la « vraie vie ».
- Non, c’est pas vrai, moi, j’étais sincère..
- C’est un des dangers.
- … dont personne n’est averti, n’est-ce pas ?
- Nous sommes entre majeurs, adultes « consentants », libres, décisionnaires.
- Tu parles d’un jeu de dupes.
- Je ne crois pas, Martine, chacun connaît la part de virtualité de ces échanges.
- Ben moi, je dois être trop naïve, ou crédule.
Je me tus. Celle que je n’arrivais pas à appeler Mireille me regardait. Elle semblait sincèrement touchée de ma détresse, de ma déception. Moi, j’avais envie de hurler à la trahison et à la connerie, aussi. Mais comment avais-je pu me laisser avoir aussi facilement ?! Comment n’avais-je pas senti que tout ceci n’était qu’un affreux traquenard, un sale coup monté, une supercherie marketing. Je ne voulais pas pleurer devant elle. Je lui lançais un regard noir, chargé de tout le mépris que je pouvais trouver au fond de moi et que je n’avais pas encore utilisé contre moi-même.
- Tu fais un sacrément beau métier, tu sais. (mais je n’arrivais pas à être plus en colère, j’étais tellement dépitée). Mais tu as un sacrément beau style, aussi.
Barbara Mireille se gratta la gorge, l’air encore un peu plus gêné. Je compris instantanément.
- Attends, tu veux dire que tu n’as rien écrit , toi ?
- Si, mais pas tout. Ici, tout le monde participe aux blogs.
- Tout le bureau, tu veux dire ?
- Oui, tout le bureau.
En pensant à toutes les têtes qui m’avaient dévisagées, je déglutis avec difficulté.
- Cool…
- Cela permet de varier, d’être plus inventif, de ne pas se scléroser…
- Bien sûr, et puis ça évite de s’attacher, aussi !
Je n’eus aucune réponse.
- Et alors, Aurélie ? elle n’a pas été très correcte, sur ce coup là. C’est pas très déontologique ce qu’elle a fait.
- Je le reconnais. Elle n’aurait jamais du.
J’hésitais mais comme il ne me restait quasiment plus de peau sur le pouce que nerveusement, je mâchais depuis le début de notre conversation, je repris.
- Et heu… c’est vraiment ton amie ?
- C’est mon amie, oui.
- … je suis désolée, tu sais…
- Tu n’y es pour rien. Je te l’ai déjà dit. Tu ne pouvais pas savoir.
- C’est vrai, mais ce que je voudrais bien savoir, moi aujourd’hui, c’est pourquoi subitement tu me parles ? Pourquoi tu me racontes tout ça ? qu’est-ce que tu en as à foutre après tout de me dévoiler le pot aux roses ! Il te suffisait d’arrêter de m’envoyer des commentaires et basta, ni vu, ni connu !
Barbara Mireille la traîtresse baissa la tête et la voix.
- C’est suite à ton email…
Ha, mon email… nous y arrivions enfin. Mais bon sang, qu’est-ce que j’avais bien pu mettre dedans pour mériter d’être convoquée dans le bureau de la belle et d’y recevoir ses confidences ? j’avais espéré qu’un choc du type de celui qui venait de me percuter me ferait retrouver la mémoire, mais non, rien, le whisky avait définitivement évaporé le moindre souvenir sur cet épisode. Je lançais une petite perche hasardeuse.
- Et quoi en particulier dans mon email t’a décidée à me parler ainsi ?
Je la sentais elle-même hésitante à me répondre. Je lui tenais tête, me redressant sur le fauteuil. Sa voix était de plus en plus imperceptible. Il me fallait presque tendre l’oreille pour l’entendre.
- Tu ne vois pas ?
- Ho, il y a mille choses que je vois ! (dans le noir le plus total)
- C’est le passage sur…
- Sur ?! (mon cœur battait la chamade, ça allait se voir, j’en étais certaine)
- Lorsque tu parles de ce que tu ressens, et de ce que tu n’arrivais pas à me dire, enfin je veux dire, à dire à Barbara pendant toutes ces semaines.
- Oui, et ?
- Tu as écrit la plus belle, la plus passionnée, la plus vibrante des déclarations d’amour. Je peux t’assurer que je n’en ai jamais lu de pareille.
- Et ton code de déontologie, il t’a pas dit qu’il ne fallait pas donner suite ?!
- Je ne pouvais pas… je ne voulais pas que tu te gâches ça, que tu perdes toute cette belle énergie… dans un mensonge.
- C’est pas très commercial, ça !
Le trait m’avait échappé mais je m’en voulus aussitôt d’avoir décoché cette flèche à ce moment là. Cette femme semblait si sincèrement bouleversée.
- Pourquoi tu m’as fait venir, ici, dans ces bureaux ?…. Tu as peur de moi ?
- Ce n’est pas de toi dont j’ai peur, mais plutôt de ce que j’ai ressenti à la lecture de cet email, au fond de moi. Je ne peux pas me le permettre et maintenant tu sais pourquoi.
Cette fois ce fut moi qui reçus la flèche en plein cœur. J’avais troublé Barbara et Mireille s’en était défendu. J’avais fait vaciller la professionnelle en lui rappelant qu’elle n’était qu’une femme avec ses doutes et ses désirs. J’avais peut-être frôlé son émoi et avais risqué de m’y brûler les ailes.
Je sentais que l’entretien tirait à sa fin, qu’il n’y avait plus matière ni raison à le poursuivre. J’avais le cœur lourd, très lourd mais j’avais aussi le désir furieux de quitter cette pièce, ces bureaux, ce lieu obscène où l’on volait votre âme pour quelques placards de publicité bien placés. Je me levais. Elle aussi.
Nous restâmes quelques secondes, plusieurs minutes, une éternité debout l’une en face de l’autre. Je ne savais comment me détacher de son regard. Une dernière fois, qui eût été aussi la première, j’aurais voulu la prendre dans mes bras, l’embrasser avec langueur, lui offrir mes lèvres, ma bouche, puis le velours de ma langue. J’aurais voulu la serrer contre moi, sentir ses seins s’écraser contre les miens, glisser ma main de sa nuque à ses reins, la sentir se cambrer, commencer à la toucher, à la caresser, à l’exciter. J’aurais voulu de mon genou écarter ses jambes, la voir défaillir, la sentir vibrer, trembler, se pâmer. J’aurais voulu qu’elle me désire soudain avec violence, qu’elle-même m’agrippe, se colle à moi, ouvre sa bouche, me pénètre de sa langue effervescente, se saisisse de ma main libre pour la plaquer contre ses seins. J’aurais voulu la renverser dans cette pièce où, quelques instants plus tôt, elle était passée aux aveux, lui relevant la jupe de son tailleur, ouvrant son corsage, la léchant, la caressant, la mouillant. J’aurais voulu qu’elle craigne que ses soupirs qu’elle retiendrait à peine pussent être entendus par les autres membres de l’équipe. J’aurais voulu qu’elle jouisse dans ma bouche, qu’elle me donne sans retenue jusqu’à la moindre parcelle de son orgasme. J’aurais voulu la gifler.
Ce fut elle qui, la première, frissonna. J’avais une dernière question.
- Mireille…c’est ton vrai prénom, n’est-ce pas ?
- Bien sûr.
- Mais alors, pourquoi, lorsque tu m’as retrouvée chez toi avec Aurélie, pourquoi t’a-t-elle appelée Barbara ?
- Je crains qu’elle n’ait fait un énorme lapsus. Aurélie est fragile. Elle se perd un peu dans tout cela. Je l’ai mise aux blogs culinaires, maintenant.
- Oui, ça risque moins, c’est sûr.
Nous échangeâmes enfin un léger sourire. C’était la fin, la magie venait de s’éteindre. Je sortis du bureau et traversais en sens contraire l’espace loft. Je croisais le regard de la dite Aurélie qui replongea aussitôt dans son écran et ses recettes de pâtisseries. Je voulais sortir au plus vite. J’avais demandé à Mireille de ne pas me raccompagner.
Dehors, les bruits de la rue me firent du bien mais je sentais néanmoins monter du fond de ma gorge une énorme pelote de pleurs, de rage, de désolation, d’abattement. J’étais abasourdie. Je rentrais dans le premier café et commandait une bière. Au moins, la fraîcheur de ce breuvage adoucirait la fièvre qui montait en moi et l’alcool, je l’espérais, détendrait mes muscles bandés, tétanisés.
Je ne pus l’empêcher. La vague de larmes me submergea. Je pleurais devant mon verre comme une sotte. De gros sanglots secouaient mes épaules et je n’en avais rien à faire de les maîtriser.
Une voix très agréable me parvint.
- Tenez… prenez…
Je levais la tête et à travers le rideau de larmes qui jaillissait, niagaresque, j’eus la vision subtile et délicate d’une femme, blonde, au visage souriant, à l’air attentionné, qui me tendait un mouchoir en papier. Je m’en saisis et me mouchais. J’en utilisais deux ou trois autres puis me calmais enfin. La femme me regardait toujours.
- Je peux faire quelque chose pour vous ?
- Je ne crois pas non… continuer à me fournir en mouchoir ?
Elle m’en tendit un autre. Je m’en saisis et lui souris.
- Voilà qui est mieux, fit-elle avec une réelle satisfaction.
Elle devait avoir 40, 45 ans. Peut-être même plus. Elle était habillée très élégamment comme les femmes le sont dans ce quartier chic de la capitale, joliment bourgeoise, vêtement de prix mais en toute discrétion, attentive, prévenante mais sans ostentation. Je finis de m'extraire définitivement de mes pleurs au vu de ses jambes qu’elle croisa avec une délicatesse et un savoir-faire extraordinaire. Cette fois-ci, je lui souris franchement. Et si j’arrêtais de gâcher aussi inutilement ces heures à poursuivre des rêves insensés et des fantasmes boiteux. Je lui tendis la main pour me présenter.
- Martine.
- Enchantée Martine, Barbar…
Je me levais et la plantais là sans mot d’excuse ni même finir mon verre.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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