Cette nuit là, j’avais très mal dormi. Je m’étais retournée, et retournée cent fois dans mon lit. J’avais eu trop chaud sous la couette qui me recouvrait, mais lorsque je la rejetais, alors je frissonnais. J’avais vu les heures s’égrener une à une, 02H00, 03H00, 04H00… jusqu’à enfin réussir, non sans mal, à disparaître dans les doux bras de Morphée… Mais le repos avait été de courte durée. A 05H55 j’ouvrais les yeux et écoutais les premiers bruits de l’aube. Un coq, bien sûr, puis un mouton, peut-être un deuxième, ensuite quelques meuglements de vaches se rassemblant dans le pré du bas. Il y avait aussi tout un barouf de petites mésanges qui se réunissent invariablement, matin et soir, sur les cannes souples du bambou. Mais elles sont si légères que c’est à peine si elles les font ployer. Un autre bruit avait attiré mon attention, celui tout aussi bucolique mais également plus mélancolique de la pluie. Ce bruit me contraria. Il ne pleuvait pas très fort, à peine une petite bruine mais je savais que cela m’empêcherait de rejoindre la terrasse où j’aime à prendre mon café, le matin. Je ne pourrais pas, comme à mon habitude, m’installer dehors, sous le soleil doux, et profiter des couleurs matinales, du doré le plus délicat au vert le plus intense. Fatiguée, sans doute un peu bougon, je montais la thermos de café dans mon bureau pour m’atteler alors au plus vite à mon travail d’écriture. Je lus mes messages, répondis à certains, puis commençais à réfléchir sur le thème que j’allais développer tout au long de ma journée. Mais mon esprit était accaparé par une nouvelle étrange reçue la veille au soir et qui, bien certainement, avait été la cause de mon insomnie. Barbara m’avait écrit, à nouveau elle voulait me voir et se montrait pressante, insistant sur notre rendez-vous manqué de l’autre jour et que, si je le désirais, elle serait ravie de me retrouver quelque part et qu’enfin, après toutes ces semaines, nous puissions nous découvrir l’une à l’autre. J’hésitais, je tournicotais tout cela dans ma tête, indécise, certainement curieuse mais très anxieuse aussi de la rencontrer, en chair et en os. Depuis cette magnifique exposition où elle n’avait pu se rendre mais où j’avais rencontrée Aurélie, mes sentiments pour Barbara étaient devenus complexes, déroutants. J’aimais toujours avec passion lire ses textes, ses commentaires, échanger avec elle mon opinion, prendre en compte ses critiques. C’était devenu notre habitude, notre rendez-vous quotidien et c’était toujours avec impatience que j’allumais mon ordinateur, chaque matin, afin de pouvoir commencer nos échanges. Elle était devenue pour moi une Muse, inspirante, exacerbant avec art le meilleur de moi-même. Je vous l’avoue, depuis que nous avions débuté notre relation épistolière, je n’avais jamais aussi bien écrit, ni ne m’était sentie à ce point inspirée. Seulement voilà, son message, son invitation d’hier me plongeait à nouveau dans les affres de l’indécision et les tourments vertigineux de mes craintes. Je savais qu’il fallait que je lui réponde, que je ne pouvais plus laisser sa demande en suspens mais mes réticences à la rencontrer étaient toujours bien présentes, comme au premier rendez-vous. Je savais, et elle aussi, que de nous voir enfin, de nous découvrir physiquement, de nous plonger dans le réel de nos vies allaient bouleverser à jamais l’imaginaire que nous nous étions construites l’une de l’autre. J’avais conscience que nous allions perdre alors de notre complicité intellectuelle, spirituelle, artistique pour nous heurter à la trivialité, voire la banalité de nos vies. L’intérêt que nous avions l’une de l’autre ne s’était forgée qu’à travers nos mots et nos idées et j’avais la peur au ventre qu’en me découvrant, elle passât son chemin sans se retourner, constatant de visu que je n’étais pas celle qu’elle avait imaginée. Pour aller au fond de ma pensée, ce n’est pas la vexation de ce genre de réaction qui me tourmentait le plus, mais le risque de perdre alors, celle qui m’avait tant stimulée, excitée littérairement et dont la perte serait sans doute aussi douloureuse qu’un sevrage. Ne pouvant plus atermoyer, je me décidais à lui répondre…