Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
16 Décembre 2009
Au milieu de la nuit, il se dresse, dos bien droit, tête haute, regard en avant, un très court sourire au coin des lèvres, légère remontée de la commissure, plus l’expression d’une volonté que d’une joie. Le Pilote porte son bel uniforme de parade, veste noire aux reflets soyeux, pantalon tombant impeccablement sur une paire de chaussures lustrées, rendant parfois un éclat lumineux lorsque il passe non de l’un des réverbères qui éclairent les hangars, gants blancs, immaculés.
Dans sa marche, attentif, le Pilote scrute les alentours et tous ces beaux avions endormis. Il les aime tous ces avions, toutes ces puissances sereines qui dans un coup de rein, au matin, s’élèveront dans le ciel en rugissant. Il les aime toutes ces promesses de voyage, ces navires en attente de courants, de sustentation, de frissons. Le pilote est fier de sa flotte, bien rangée, bien organisée, en parfait état de fonctionnement, chaque appareil prêt pour le prochain vol. La compagnie tourne bien, de plus en plus de passagers se pressent pour emprunter ses lignes qui se développent sans discontinuer. Une bien belle compagnie, oui, sa fierté. Sa vie.
Près du dernier hangar, rutilant, se dresse l'aéroplane, sans doute son préféré, celui des Destinations Intérieures, resplendissant de rose afin que sa carlingue se détache au mieux dans le ciel bleu. Toujours le bleu. Beaucoup de bleu.
Le pilote stoppe sa marche et le contemple. C’est lui qui frissonne alors au souvenir de ces voyages aux commandes de ce bel appareil, si doux à piloter, si docile, rapide, vif, capable des plus insolites et vibrantes voltiges comme des plus tranquilles des traversées. Le pilote le regarde presque avec amour, se met au garde à vous et le salue avec déférence. Un Pilote devant son avion. Uniforme aux boutons qui brillent, éclats de lumière sur le bout des ailes. Savant mélange de don et de maîtrise, savoir donner, lâcher puis reprendre les commandes pour que les voyageurs ne se perdent pas.
Mais ce soir, le Pilote ne montera pas dans son avion. Il ne l’emmènera pas survoler ces villes ou ces déserts, ces îles ou ses désirs. Non. Il passe son chemin et continue, toujours droit devant lui.
Un sentier qui descend, un peu abrupt, étroit, sentier des douaniers, sentier de contrebandiers qui plonge vers la mer, non loin. Le Pilote prend garde à ne pas glisser et marche sans hâte, talons qui se plantent sur les petits cailloux qui s’écartent légèrement sous la pression. Au détour de la sente, une lueur l’éblouit. Celle du phare, un phare bleu et blanc, Veilleur des mers, main tendue au dessus de l’océan pour rassurer et guider, mener à bon port. Tour de contrôle maritime, indestructible, survivant à toutes les tempêtes, à tous les vents, aux vagues les plus hautes. Donjon lumineux au cœur de l’obscurité.
Le Pilote continue sa route. Il sait précisément où il se rend, où il va, où il doit arriver.
Le sentier s’est élargi, laissant place au sable, lichens, algues, galets polis. Il faut enjamber alors tous ces bois flottés qui jonchent la grève, comme autant de repentirs que la mer rejette après les avoir portés, tant de temps, qu’ils se déposent alors sur la plage avec la plus grande des douceurs, toujours la douceur, comme le bleu, comme le rose, comme la brise, comme tout ce qui ne contraint pas mais s’offre. Légers comme de la soie, ronds, lisses, sans aspérité, bois sans écharde, inoffensifs.
Au loin les rochers. C’est là que le pilote se rend. Sûr de son chemin. Il escalade alors les buttes minérales, toujours aussi lentement, avec précaution, pour ne pas glisser, pour ne pas coincer son pas, ressentant avec volupté sous la paume de ses mains qui l’aident à franchir les roches escarpées, le tactile et humide et odorant contact de cette digue naturelle.
Cette fois, il est arrivé. Devant lui, la mer se caresse sous le délicat impact de ses flots contre la falaise dressée. Elle va, elle vient, submerge, se retire, emplit, murmure, acte d’amour, corps à corps tendre, harmonie d’un monde liquide se glissant langoureusement sur son opposé, si complémentaire, cet autre monde qui la contient en son sein, la porte, l’entoure de ses bras qui réconfortent, rassurent, immuables, toujours là. Le Pilote regarde cette écume blanche à ses pieds qui frémit, palpite dans un plaisir sans cesse renouvelé, attendu, demandé, réclamé et enfin, donné. La jouissance de la mer contre cette falaise inonde son corps de désirs. Tout en lui ressent, capte, reçoit.
Le Pilote, dans un dernier effort de contrôle, observe alors la succession de ces vagues langoureuses. Il sait celle qu’il attend. Il plisse les yeux pour être sûr de ne pas la manquer… Non.. non… non… Oui !. Celle-là. C’est celle-là ! Il la reconnaîtrait entre toutes, cette vague majestueuse, plus ronde que les autres, plus pleine, plus puissante, porteuse des plus profondes abysses, magicienne, ensorcelante, toute de puissance contenue. Celle qui emporte parce que si large, si grande, si immense qu’on n’en revient jamais. Oui ! C’est bien celle-là. La Septième vague.
Le Pilote inspire alors profondément. Il sait que le moment est arrivé de la rejoindre, de plonger dans ses bras, de s’immerger en son cœur, malgré sa peur, le saut dans le vide, ce vide si haut, si noir, et les rochers, en bas, sur lesquels tous rêves se brisent. Il ne peut pas manquer son élan. Il doit partir exactement au bon moment, plier ses jambes, légèrement et les détendre à l’exact seconde où elle reviendra, où il l’apercevra. Trop tôt, trop tard, tout sera fini.
Alors il compte à nouveau, calmement. Un… deux… trois… quatre… cinq…...... six……. SEPT …..
Bras écartés, corps tendu, comme la carlingue de son bel Avion Rose, il plonge, avec la fierté des oiseaux qui ne tremblent pas lorsqu’ils planent.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
Voir le profil de M. T. sur le portail Overblog