Nouvelles érotiques au féminin, poésies saphiques, littérature lesbienne
12 Octobre 2010
... que nul ne peut apprivoiser... comme l'inspiration, la concentration, l'envie d'écriture se brisant contre la banquise de la page blanche, comme autant de nuits perturbées par l'insomnie des mots.
Il y a un an se déroulait devant moi un brusque virage, un changement de page, un bouleversement d'images, une explosion d'orages qui se déchainaient après avoir été si longtemps contenus. Je réunissais alors tout mon passé, convoquais mes souvenirs, alertais mon quotidien et passaient tout ce beau monde au crible d’une nouvelle volonté. Je tamisais mes désirs, sélectionnais les plus intenses, les plus brillants, les moins transparents. Je quittais tout ce que j’avais été pour mettre au jour mes essentiels, ceux là même que ma vie avait enterrés prématurément au gré d’un abandon des combats, dans la quête d’un confort des passions assagies, par la peur d’une solitude qui vous fragilise avec l’âge. Alors je relevais soudain la tête dans un sursaut ultime pour contraindre cette envie farouche, venue de loin, de créer autour de moi des protections, tampons, butoirs aux accès illicites de ma fureur de vivre.
Car j’en étais là : J’aimais, j’étais aimé, tout allait bien, je pouvais donc mourir.
Oh bien sûr, pas mourir de la mort éternelle, pas de la mort pour de vrai, pas de la mort dont on ne revient pas, jamais ou seulement à travers les cristaux déformants d’une foi religieuse. Non, ma mort était autre. Elle était de la pire espèce, de celle de ces maladies insidieuses qui ne vous lâchent que lorsqu’exsangue, juste pour en finir de cette fin lente, vous criez grâce et qu’alors semblant exaucer enfin notre vœu, elles battent retraite mais pour mieux nous laisser agoniser sur notre champs de bataille ainsi déserté. Et l’agonie peut être longue, très longue car sans le savoir, c’est vous-même qui en êtes maître. Un mois, un an, quinze ans, une vie. Cela peut prendre du temps de mourir vraiment, parce qu‘une maladie , c’est une affection et que l’affection, c’est d’abord l’amour. Et l’amour, ça ne se tue pas.
Ainsi va la vie, ainsi allait ma vie qui, au gré d’une décision se voulant la dernière, se délitait, perdant dans ce simple bonheur l’essence même de son intérêt et de son mérite. Et ma responsabilité dans tout ceci était immense en surestimant ma capacité d’accepter ce qui est pour moi l’impensable et que l’on pourrait résumer dans un seul mot : toujours… Ah… le faux ami, la mauvaise rime… amour… toujours… comme si l’on pouvait ainsi décider de ce qui sera… alors que toujours n’est que la contraction douloureuse de tous nos jours, un simple quotidien de bouts à bouts, de collages, de rafistolages, mais certainement pas la promesse de l’éternel. Pourtant combien de fois l’ai-je utilisé ce « toujours » et avec conviction ?! Pour finir par le laisser tomber quelque part sur ma route, n’en pouvant plus de ce poids là, de cette définition des choses et de ma vie, de cette intangibilité du destin. Où était l’erreur ? Où était ma faute ? D’y avoir pensé ou de l’avoir abandonné ? Car cet abandon est sans aucun doute ce qui me coûte le plus. Même s’il me libère.
Pourtant, il me hante…
Toujours
A ce jour et jusqu’au dernier
Lien intangible et contraint
A croire en sa propre histoire
Sans jamais faillir
Au coeur de son mensonge
Toujours
Pour écarter les questions
Éviter les réponses
Pour donner à l’amour
L’indolent goût
De l’ignorance
Toujours
Pour que rien ne change
Pour que rien ne bouge
Pour que rien ne dérange
L’immuable
Dans l’immobile
Toujours
Pour supprimer la peur
Toujours
La peur qui donne
Au plaisir
Son ivresse
Par l’idée même
De sa perte
Depuis j’ai ouvert des portes, depuis j’ai remonté des couloirs, pris des escaliers, couru dehors à l’air libre et trébuché dans les nuits plus noires. Depuis je marche, infatigable, mobile, aux aguets, vers l’avant, sans rien voir, sans chercher à voir. A quoi bon. Ce que nous voyons des choses n’est que le reflet de ce que nous voulons bien y mettre.
Depuis, inlassablement, je vis. Et j’aime. Parce que sans amour, je ne suis tout simplement plus. J’aime le ciel, j’aime le vent, j’aime l’eau qui s’écoule sur ma peau, j’aime le sourire de l’inconnue croisée dehors, j’aime le son de sa voix lorsqu’elle murmure des mots effleurés sur l’ourlet de mes lèvres. Depuis j’aime, non pas pour toujours mais encore, insatiablement, sans merci, sans aucune volonté de savoir où tout cela me mènera. Je change, peu à peu. Mon cœur se décolle, gonfle et va s’accrocher aux nuages d’une ville au ciel immense et à la chaleur abrupte. Depuis, je ne cherche plus. Je prends. Et je perds aussi. Parce qu’en refusant le toujours, j’accepte l’à peu près, l’incertain et le dédain, de ceux qui pensent qu’il ne fallait pas changer, surtout pas. Mais à ceux là je leur laisse l’éternité. Elle est bien trop grande pour moi.
Et si je vous écris tout ceci aujourd’hui, c’est pour renouer avec vous. Pour vous dire que je ne suis plus tout à fait celle d’avant pour avoir abandonné une partie de ce qui m’était destiné. Parce que je veux vous confier que si rien n’est certain, si rien n’est immuable, il faut accepter que la mouvance des choses soit le plus beau cadeau que la vie puisse nous faire, même si l’on y brise quelques parties de soi-même, le fameux prix à payer.
Et mon prix fut celui de mon inspiration, de cette facilité d’écriture qui me donnait au quotidien l’amplitude et le plaisir de textes renouvelés. Encore aujourd’hui je peine, j’œuvre dans la douleur, je combats ma propre lassitude devant cet écran qui se met en veille constamment, mains suspendues au dessus du clavier, presque dans un geste de rejet.
Mais j’y reviens sans cesse, encore… et toujours… à chaque jour espérant enfin cette libération. Et je la veux, et je l’appelle et elle revient pas à pas, effarouchée, fragile mais belle, je le sais, de nouveaux départs, de belles envolées, de prochains désirs. Paradoxe de ma vie, inconstance de l’inspiration, je me bats aujourd’hui pour apprivoiser celle qui me mangeait dans la main hier, lorsque j’étais sur l’autre rive de l’autre continent.
Mais je ne lâcherai pas, car je ne m’abandonnerai pas. Et dusse-je écrire éternellement le même texte de reprise, et bien je serai cette Pénélope là et continuerai… inlassablement…
Ne serait-ce que pour la beauté du geste.
Auteure (romans, nouvelles, chansons), scénariste, amoureuse des mots et des arbres...
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